À vos marques… stoppez !

Vite, toujours plus vite. S’il a bien une chose que l’on nous aura apprise dès notre plus jeune âge – quasi même avant de savoir marcher –, c’est de courir. Ainsi va le monde, ainsi fonctionnons-nous. Du moins depuis la deuxième moitié du 18e siècle. L’avènement de l’ère préindustrielle aura en effet marqué un tournant décisif dans l’histoire de l’humanité en nous faisant entrer dans l’ère du « progrès ». À un point tel que tout ce qui constitue notre monde d’aujourd’hui est depuis longtemps marqué au fer forgé de son empreinte. Progrès par ci, progrès par là. Le mot est partout, déployé à son paroxysme par les industriels, et allégrement récupéré par les politiques.

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Bien évidemment aussi, le marché aura été contraint de s’adapter aux nouvelles réalités, à commencer par le changement climatique. Ainsi l’on nous vendra aujourd’hui les mérites de la voiture électrique, de la 5G, du gaz naturel liquéfié (GNL)… du métro ! Bref, d’un confort de vie accru en accord avec la cause environnementale. Des mots qui sonnent comme une marque de réconfort : celui de ne pas avoir à sacrifier notre mode de vie sur l’autel du climat, ou de tout autre fléau d’origine anthropique d’ailleurs. Il faut dire que tout cela est bien joli. Sur le papier du moins.

Or, comme nous l’aurons vu tout au long de ces derniers mois dans ces mêmes colonnes, entre le rêve et la réalité, les faits apparaissent le plus souvent contraires. Pour s’en convaincre, il suffit de reprendre les quelques exemples repris plus hauts. À l’instar donc de la voiture électrique, dont la conception est grandement plus énergivore que celle d’un véhicule thermique, ou du GNL, qui promet des émissions de méthane plus nuisibles dans le court terme que ne le sont celles de dioxyde de carbone. Quant à la 5G, nous avons longuement mis en évidence que si la technologie a une empreinte carbone moins élevée, les opérateurs oublient de mentionner « l’effet rebond ». À savoir que si le gigabit transféré consomme moins d’énergie sur les réseaux modernes, le trafic y est en revanche bien plus important, favorisant une hausse notable globale de la consommation, et non une baisse. Bref, l’illustration parfaite de la notion de « greenwashing ».

Évidemment, il ne s’agit que de quelques exemples, mais l’on pourrait faire quasiment le même constat pour la majorité des autres biens et services modernes de consommation courante. Et tous sont associés au « progrès », terme qui, comme la croissance, renvoie à une idée séduisante, confortable, presque protectrice. Autrement dit une image si positive qu’elle en occulte les effets pervers. Au risque d’en oublier le sens premier du progrès – idéologie née au XVIIIe pour parler de l’avancée des mœurs, de la pacification des sociétés, ainsi que de l’évolution des sciences et de la pensée philosophique – et qui aura été détourné au profit du seul progressisme technologique.

Certes, l’idée du progrès puise toujours sa source dans la même trame de fond, à savoir que tout ce qui se rattache à l’humain est appelé à s’améliorer. Et à première vue, c’est d’ailleurs le cas, tant notre mode de vie se sera raffiné au fil des derniers siècles, et ce, dans tous les secteurs scientifiques et technologiques. « À première vue », car toutes ces innovations n’auraient pu voir le jour sans énergie, et dont les sources sont encore pour l’heure pour l’essentiel carbones. Dès lors, le progrès, tel que l’on le conçoit en 2023, ne peut fondamentalement être associé à une amélioration inéluctable de nos conditions de vie, ces dernières étant de facto appelées à se dégrader du fait notamment du réchauffement planétaire.

Aussi serait-il temps de revoir la notion même de progrès en la détachant de toute considération ultraconsumériste. Ainsi, si par progrès l’on entend une hausse de la qualité de vie, nul besoin de nécessairement l’associer au produit de notre machine industrielle. Par exemple en passant du temps avec sa famille, en parlant à son voisin – plutôt que de lui envoyer un message sur Facebook –, en ressortant nos jeux de société, en faisant des randonnées, en lisant un bon livre à l’abri de la pluie… En d’autres termes, dans un monde pris en étau par une consommation débridée liée à notre imaginaire du progrès, que l’on pense à tort seulement technique, nous devrions hiérarchiser nos priorités. La clé de notre bien-être, et de notre avenir, ne tient finalement qu’à peu de chose.

 

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