FICTION : Murmure sous les feuilles de thé

Hiver doux.

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Une fine pluie se promène sur nous ; elle se pose aussi sur les grandes feuilles qui nous cachent un ciel gris. Nous avançons entre les branches et par-dessus les racines pour découvrir un champ de thé qui s’enfonce jusqu’au lointain, jusqu’aux voiles gris qui ombrent les montagnes.

Des théiers sombres et verts ; feuilles dures sur des branches noueuses ; tous tondus ras ; tous dans l’attente de la cueilleuse. Et à l’ombre de leur ramescence, sur la terre et la pierre égarée, une ou deux fleurs de thé.

Chose délicate, pétales en mousseline, presque évanescents, comme un rêve au sortir de la nuit ; cœur jaune de soleil sous tous ces nuages gris.

Une question.

Et les fleurs de thé, ne prennent-elles jamais le vent ? Ne vont-elles jamais poursuivre des rêves de liberté ? N’aspirent-elles pas à la folie ?

Je rejoins les autres, en laissant mon esprit à l’ombre de l’arbrisseau.

Une terre d’eau retient le pas ; un marécage ciselé par le jeu des cours d’eau qui sèment les hygrophytes au petit bonheur. Je vois l’œil naissant d’un longose orange. Il me dit en un battement l’errance de voyage depuis l’Inde mère.

Une brise légère me détourne.

Dans le vent, des notes de lavande et de poivre. Je suis le parfum et rapproche mes doigts des ailes blanches du gingembre papillon. La fleur claire à un soupçon du citron : senteur de l’enfance emportée.

Je ne vois plus les autres ; ils m’ont perdu. Je suis égaré du droit chemin.

Et les sentes, elles, vont selon leurs désirs. Tours et détours dans un enlacement infini. La vie. Je m’y avance, le pied dans les petits chemins, dans les layons d’aiguilles de pin, délicat comme le sommeil du volcan.

Je m’y promène, allant de pins en cônes, et à ces oisillons tombés je demande les secrets du sous-bois.

— Toi, dis-moi. Les fleurs de thé, n’aiment-elles pas le libre du vent ?

Tous fermés, les petits cônes au creux des aiguilles ne lâchent rien. Aucune histoire, aucun filin à tirer, nulle façon d’avoir la vérité.

Heureux pour le promeneur, un enfant perdu, un cône rebelle et ouvert jusqu’aux épines m’indique un passage entre les bambous, un raidillon rocheux et nerveux, une pente brute qui mène vers le fond des choses, vers le secret du lieu.

Au bas, à l’ombre d’arbres grands et oubliés des hommes, le bruit de mon cœur cogne durement. Peur de l’inconnu sur la terre, peur du voile et de l’ombre. Mais si nous en venons tous, peut-être me dois-je d’y retourner, de laisser vie et peine devenir fleurs oubliées…

Mourir et avancer.

J’avance.

Quelques pas, les mains aux branches, j’entre dans les creux aux arbres chavirés. La mousse à tiges feuillées accompagne mes pas. Me vient la respiration sourde d’une bête ignorée du monde, le souffle d’une brute sans nom.

Le bruit que je croyais mon cœur…

En quelques sauts, j’entre dans un breuil, une frénésie de bambous en herbe…

Là, une cascade devant mes yeux ; une rivière qui se jette dans le vide, une eau qui jaillit de la pierre pour emplir l’air de fines particules qui épousent ma peau.

Le sublime ; celui qui nous remet à notre juste place, à notre condition de fraction du grand tout. La rivière est une mystique du mouvement, une mystique de la vie même.

Un sens secret.

Il me fallait entrer dans les chutes de la rivière pour retrouver le sens des choses, le murmure sous les feuilles de thé.

J’avance l’être à nu et le cœur dépouillé.

J’offre ma chair aux aiguilles froides de la rivière.

Mon cœur saisit ; entre mes lèvres le goût d’un monde pur…et le secret des fleurs de thé.

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