Rémy Ollier : leçons de savoir-vivre politique à nos contemporains

Il y a 105 ans, en 1917, un jeune journaliste et écrivain de 30 ans, rédacteur-en-chef du Mauritius Indian Times, fasciné par le verbe, le cheminement intellectuel et les combats et la force de conviction de Rémy Ollier, allait publier une des premières biographies consacrées à cet homme hors-norme.

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Ce jeune homme, ce jeune écrivain, ce jeune intellectuel passionné par l’Histoire de son pays et par la politique s’appelait Albert Francis Fokeer. C’était mon arrière-grand-père. Quand je fus appelé, il y a quelques jours à prononcer quelques mots à l’occasion du lancement d’une nouvelle biographie passionnante sur Rémy Ollier, écrit par Lindsay Pointu, je n’ai pu m’empêcher d’esquisser un sourire, un brin ému.

Comme quoi, le temps et le hasard font que Rémy Ollier n’est jamais tout à fait loin des préoccupations des membres de ma famille.

Je fus moi-même introduit à son histoire par le biais de mon père pour qui Rémy Ollier était un de nos plus éminents fils du sol. Cet homme a toujours exercé une certaine fascination chez les intellectuels. C’était le cas en 1917, c’était déjà le cas de son temps dans les années 1840, et c’est le cas aujourd’hui comme le démontre ce lancement, ce soir, un peu moins de deux siècles après sa disparition.

Connaître Rémy Ollier aujourd’hui

Je me suis posé, à partir de là, la question de la pertinence de connaître cet homme aujourd’hui. Pour le Mauricien lambda.

Pour la plupart des habitants de cette île, Rémy Ollier, c’est juste le nom d’une rue. À Port-Louis. Ou à Quatre-Bornes. On ne va, généralement, pas plus loin que cela.

Cela est non seulement injuste envers ce qu’il fut et ce qu’il a apporté à notre histoire commune et à notre pays, mais il serait aussi possible de dire que cela est tragique pour la conscience collective des Mauriciens et une certaine vision du destin national.

Cet homme, de par ses actions, de par son tempérament et ses qualités, de par sa vision, son énergie et ses convictions, cet homme a encore beaucoup à apprendre à nos contemporains. Aussi bien aux intellectuels qu’aux politiques, aussi bien à l’homme de la rue qu’aux décideurs  économiques ; aussi bien aux plus âgés d’entre nous qu’aux plus jeunes.

Peur et désarroi

Je suis enseignant. Et, je perçois souvent le désarroi de mes élèves. Il y a quelques jours, deux jeunes auteurs invités par Shenaz Patel à partager la scène avec elle au cours d’une soirée consacrée à l’écrivaine et à sa relation avec l’écriture et la littérature, ont confié leurs angoisses, leur tristesse, leur pessimisme face aux réalités cruelles et violentes du monde contemporain.

En tant qu’enseignant qui côtoie la jeunesse de cette île au quotidien, je peux témoigner de ce manque d’espérance, de la peur qui les tenaille mais également, oui, de leur désarroi d’être en manque de modèles forts, de héros nationaux, de figures tutélaires à qui se référer et qui sauraient leur inspirer la démarche à suivre, la vision à avoir pour notre pays, les valeurs et les convictions à défendre, la posture à adopter en tant que citoyens ainsi que le sens du travail et le sens du sacrifice à avoir.

Ce modèle de vertu politique, ce parangon de l’engagement pourtant existe. Et, aux plus jeunes d’entre nous comme aux plus âgés, cet homme prodigieux mort à 28 ans, Rémy Ollier, aurait encore des choses essentielles à transmettre.

La démocratie en danger

Nous vivons une drôle d’époque. Nos plus brillants jeunes hommes et jeunes femmes migrent vers d’autres horizons. Nos jeunes sont dans le désarroi et sont en quête de raisons et de sens pour continuer à vivre dans ce pays. On vit désormais dans la peur de la persécution politique et, tétanisés par une actualité et des faits divers qui donnent froid dans le dos, on s’autocensure et on se mure dans le silence, laissant libre cours à des dérives autoritaires inadmissibles dans un pays démocratique où la liberté est pourtant inscrite dans le marbre constitutionnel.

Alors que le 15 septembre on a célébré la Journée internationale de la démocratie, il est possible de constater le repli des démocraties et la conversion accélérée de nombreuses démocraties nominales en autocratie. Ce constat, c’est celui de V-Dem, un groupe de recherche basé à Göteborg, en Suède. Ce qui est tragique et honteux, c’est que le score attribué par V-Dem à Maurice ne cesse de se dégrader depuis une dizaine d’années. Reporter sans frontières a fait le même constat concernant le recul de la démocratie à Maurice et cela s’ajoute au rapport publié récemment par l’institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (Idea international). Le rapport souligne que Maurice fait partie des 7 pays (sur 173 pays couverts) ayant enregistré le plus important recul démocratique au monde en 2022. Cela est aussi inquiétant que consternant. Mais ce sont aussi des faits malgré le déni de nos décideurs.

Quand la population avoue avoir peur du gouvernement, c’est une indication claire que les choses ne vont pas bien. Ainsi, la culture qui se développe à Maurice est la suivante : restez discrets, postez des commentaires sous le couvert de pseudonymes ou soyez persécutés! Nous avons l’apparence de la liberté. Dans les faits, on pratique de plus en plus l’autocensure. Et on a peur.

Et là, on aurait des choses à apprendre de Rémy Ollier. Dans le fond comme dans la forme de l’engagement.

Le drame, il l’a connu très tôt. Pour citer Marcel Cabon à son propos : « le drame, dès le berceau, sera son héritage ». Il mourra aussi très jeune, et cela, dans la misère. La vie, à quelques exceptions près, lui aura fait peu de cadeaux. Cela ne l’a pourtant pas empêché de se transcender, d’aller au-delà d’un déterminisme social défavorable pour entrer de plain-pied dans l’histoire et en changer le cours. Il est le symbole même du refus d’être condamné à une destinée par la couleur de la peau et de la classe sociale.

Sachant défendre ses idées sans jamais les compromettre, il sait reconnaître et respecter celles des autres. Même les idées de ses adversaires politiques. Quand on voit le cirque qu’est devenu notre parlement, quand on voit à quel point le sens de la justice, de la partialité, du respect du débat est nié dans son essence même, quand on voit à quel point le respect de la démocratie parlementaire est bafoué dans un silence assourdissant de la part de certains politiques, grands défenseurs du droit à la parole et du débat d’idées dans un autre temps, il est possible de penser que de par son intégrité, de par son sens de la justice, par son humilité, son sens de l’honneur et son fair-play, Rémy Ollier ferait pâlir de honte nos hommes et nos femmes politiques et leur donnerait des leçons d’un certain savoir-faire, d’un certain savoir-vivre politique.

Il s’attaquait aux principes et jamais aux personnes. De nos jours, les coups sous la ceinture au sein de notre auguste assemblée sont choses courantes suscitant dégoût et désespoir chez nos jeunes assistant malgré eux à un spectacle lamentable.

Conscience politique et engagement

Sa conscience politique, il la puise dans le puits du réel, en se confrontant aussi bien à ses propres difficultés matérielles et existentielles qu’en observant avec attention la réalité souvent tragique et douloureuse de ses contemporains. Il n’hésite pas à parcourir le pays à pied pour aller à la rencontre des gens, des plus humbles surtout, afin de se mettre à leur écoute pour mieux cerner la nature de leurs souffrances et des injustices qu’ils subissent.

Ce sens de l’écoute et de l’observation manque cruellement à nos politiques contemporains. Je suppose que les pare-brise blindés des BMW ou les voyages à Dubai de nos décideurs ne favorisent pas la proximité et l’écoute. Mais, malheureusement, également, il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Très  tôt,  Rémy Ollier comprendra la signification du service aux autres et toute sa vie il résistera et se battra avec énergie pour le bien commun. Il sera la conscience de sa race. Mais cela au sens large car très vite il mettra en avant l’idée qu’il est nécessaire d’appeler tous les Mauriciens à une intelligente unité, unité sans laquelle l’ordre disparaît pour faire place au bouleversement.

Il avait déjà compris que le compartimentage ethnique ou social ne favoriserait pas le progrès du pays et qu’il s’agissait donc de construire des ponts et des passerelles entre tous les Mauriciens pour s’en sortir ensemble ou éviter de sombrer ensemble.

Sur cette petite île, face aux contingences et aux épreuves qui traversent et qui traverseront notre histoire, la destinée est et sera commune, et on aura besoin de tout le monde. Il l’écrit d’ailleurs : « Nous ne négligerons rien, pour le progrès social de notre population ; nous soutiendrons ses droits avec indépendance, énergie et sans préjugés ; nous disons sans préjugés parce que nous ne concevrons jamais et nous n’avons jamais conçu que notre voix dût être restreinte à la défense des nôtres seulement ; que nous dussions voir l’homme de couleur et rien que l’homme de couleur, ce qui serait aussi mesquin qu’affreux.”

Pour Rémy Ollier, pour citer Lindsay Pointu, un homme est égal à tout autre homme qu’il soit noir, blanc, rouge, brun ou jaune. Pour lui, tous les hommes sont frères et pour que le pays progresse, il faut privilégier le mérite d’où qu’il vienne.

Une nouvelle fois, du passé, Rémy Ollier pourrait être un phare, un exemple pour nos décideurs car nous sommes, ici, dans ce pays où règne la logique du noubanisme et des chatwa, à des années-lumière  de la méritocratie, de l’égalité et de la fraternité.

Pour autant, il ne s’agit pas de désespérer. Rémy Ollier nous apporte la preuve qu’en peu de temps (il ne faut pas oublier qu’il est mort à 28 ans) avec peu de moyens mais avec la force de conviction nécessaire, le courage, les idées, le bon sens et le refus de l’entêtement et de la mauvaise foi, on peut changer le cours de l’histoire et s’y inscrire à jamais. En très peu de temps, il arrivera à participer, par la force du verbe et des idées, à des réformes qui changeront le paysage politique et institutionnel du pays. Il encouragera entre autres la création d’une municipalité à Port-Louis convaincu de la pertinence de la décentralisation et d’une certaine indépendance des régions. À ce propos, il serait sans doute surpris que cela fait plus de 7 ans que les habitants des villes n’ont pas eu la possibilité de voter pour les municipalités. Démocratie dites-vous…

Au panthéon de nos grands hommes car pleinement Mauricien

Cet homme mort dans la misère, qui eut comme compagnon de route un cortège de drames et de chagrin, cet homme ayant peu de moyens, par le biais de ses mots et de ses convictions, par son intégrité morale et son courage intellectuel, par sa détermination sans failles, son désir inlassable de se mettre au service d’autrui et de servir son pays, par sa hauteur de vue, son sens de l’honneur et de la justice, par son respect des autres y compris de ses adversaires, cet homme disparu à 28 ans, en s’appuyant sur un savoir issu des lumières, en s’investissant à fond dans son apprentissage et dans l’éducation des autres, en se battant pour la liberté d’expression et la liberté de la presse, cet homme allait transformer le devenir social et historique de notre pays et laisser un héritage et une vision pour l’île d’une richesse inouïe.

Cet homme, par delà les siècles, continue à nous parler. Son message reste essentiel car intemporel et universel ; son message, son exemplarité font de lui un de ces immortels ayant toute sa place dans le panthéon de nos grands hommes.

Il faut donc lire les biographies consacrées à Rémy Ollier, il faut lire l’ouvrage de Lindsay Pointu car il est urgent de permettre aux Mauriciens surtout aux plus jeunes d’entre nous de découvrir ou de redécouvrir Rémy Ollier. Et cela, pour cesser de se poser trop de questions, pour cesser d’avoir peur. Pour agir. Pour se réconcilier avec notre histoire, pour se réconcilier avec notre pays et son destin.

Plus simplement, pour être pleinement Mauricien. Et fier de l’être.

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