TRILOGIE : Chistophe Colomb décapité II

KHAL TORABULLY

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Christophe Colomb ou comment déboulonner avec le langage

À ceux qui s’offusquent que l’on déboulonne ou décapite la statue de Christophe Colomb à Boston ou ailleurs, je pense qu’il faut décrypter l’histoire du navigateur et le récit de grand découvreur en y adjoignant toute la complexité et les contradictions du conquistador Colomb.

Commençons par le situer dans son contexte et le relier au temps présent…

Colomb, sans empiler des analyses et études d’historiens, c’est le grand précurseur de la colonisation européenne sur terre et mer et de l’esclavage au 15ème siècle, et ce, jusqu’au 20ème siècle, avec ses répliques sociétales aujourd’hui encore.

Le déboulonner n’est pas sombrer dans l’antiracisme primaire, dans le binaire entre le blanc et le noir ou dans un relativisme à tout-va. C’est voir en face la nécessaire déconstruction des mythes fondateurs du récit national, qui érige en « héros » ceux-là mêmes que l’Histoire juge différemment aujourd’hui. Mais, encore, faut-il savoir comment déboulonner un mythe dont on ne montre que le visage radieux, conquérant, d’un continent et d’une religion, car on sait que Colomb part à l’Ouest après la chute de Grenade en 1492, initiant un déploiement du christianisme sur le globe, dont il veut être le messie au service des Rois catholiques.

L’homme n’a jamais caché sa « croisade » contre les impies et païens. Ses trois caravelles arborent la croix, il est un homme de son époque où le credo est de « sauver des âmes », alors que « l’Occident », à ses premières heures, esquisse son acte de naissance à l’ombre de l’épée et de la croix.

Signalons que le « déboulonnage » de ce navigateur emblématique des découvertes européennes n’est pas fortuit.

Déjà, il y a plusieurs années, sur le continent américain, on a dénoncé les cruautés de Colomb. Cette année, au lieu de célébrer Columbus Day, des villes américaines (dont Minneapolis, Seattle et Denver) ont préféré célébrer le Jour des Amérindiens, rebaptisant ce jour « Indigenous day ». Preuve que la question du « déboulonnage » n’est pas née avec le meurtre de George Floyd. Et que l’acte « fondateur » de Colomb n’en finit pas de causer des souffrances de nos jours encore…

Colomb et le racisme, pourquoi lier ces deux points ?

Pour répondre à cette question, j’en poserai une autre : pourquoi certains refusent en bloc l’entreprise iconoclaste touchant les statues, prétextant que le passé c’est le passé, que chaque « blanc » actuel n’a pas à porter tout le « fardeau de l’homme blanc » et se battre la coulpe pour les erreurs de leurs ancêtres ? Pour conforter leur point de vue, ces personnes condamnent cette « révision » du récit national, refusant de voir la complexité des choses disant : « c’est notre histoire, point barre »… Ceux qui mettent à bas une statue sans en déconstruire le mythe et sa transmission dans la mémoire doivent aussi se poser la question du travail à accomplir dans cet élan historique, sachant que la souffrance et la discrimination sont au détriment du groupe « coloré » ou « noir ».

Abordons ce nœud à défaire en disant que personne ne doit avoir honte de la couleur de sa peau, mais que chacun doit voir en quoi il est l’héritier d’une histoire qui maintient l’autre dans un système oppressif et raciste. Prenons le cas de l’historiographie de Colomb, qui, sous couvert de « grandes découvertes », tait ce que cela signifie pour les autochtones/indigènes/Africains…

Colomb est l’initiateur de la mise en esclavage de millions d’êtres humains. Et de l’engagisme après cet asservissement. Il est aussi le pionnier de la surexploitation des richesses naturelles, du viol des forêts vierges, des mines, menant à une globalisation cruelle et sans âme. Pour s’en convaincre, lisons le débat des controverses de Valladolid, où on conclut que l’amérindien a une âme, donc, il ne peut être mis en esclavage, alors que les noirs n’en ont pas, signalant le départ de la traite et de l’esclavage transatlantiques.

Sous cet éclairage, il ne faut pas concevoir le « fardeau de l’homme blanc », sous forme de couleur de peau, mais comme fardeau de l’homme juste ou injuste, blanc ou non, car la justice n’est pas une question d’épiderme, mais de maturité, d’ouverture et de sens moral. Aucun blanc ne doit s’excuser des faits de ses ancêtres, mais participer à entretenir une mémoire toxique et une hiérarchie raciale au nom des idéologies racialistes, qui profitent à ceux qui sont au sommet de la pyramide, oui, cela est un devoir. Ce constat implique un énorme travail à faire.

Ce faisant, on décrypte la symbolique de ce genou massif du policier Chauvin, posé sur le cou de Floyd, l’asphyxiant sans ménagement. Ce geste « d’écrasement » vient de loin, réactivation d’une subjugation raciale, une mise au pas insoutenable dans une Amérique polarisée entre blancs et noirs, que Trump réactive régulièrement. La réaction d’indignation à cela vient aussi de loin, depuis l’esclavage, la guerre de Sécession, les tueries du KKK, les actions de Martin Luther King et les morts des gens noirs ou colorés, du fait des actions musclées de la police US.

Or, il faut laisser respirer la mémoire, la dépoussiérer des (auto)censures, des maquillages, des instrumentalisations de l’Histoire (et ce n’est pas uniquement le fait de blancs). Même ceux qui sont de l’autre côté de la barrière de la « blanchitude » sont capables d’écrire l’Histoire du haut de leur monolinguisme, pour l’instrumentaliser. Il nous faut donc dépasser nos visions étriquées des faits et des altérités et ne pas (re)lire l’Histoire sans humanités.

Oui dépasser nos peurs, réticences et ignorances par un travail sur nos blessures ou certitudes historiques, impliquant une réparation/correction intelligente, une remise en cause des faits de mémoire qu’on érige trop souvent en devoir, nous évitant de la questionner, car elle est aussi une déconstruction et une remise en perspective. Revenons à nos Colombs…

Colomb et le travail de mémoire

Pour le cas de Colomb, le travail de mémoire est de reconnaître – mais était-il le premier ? – qu’il a connecté deux hémisphères du globe terrestre, pas de façon si désintéressée, mais pour ramener de l’or, de la soie, des épices à ses souverains et pour lui-même.

Colomb était un grand cupide. Il faut rappeler qu’il a investi dans l’entreprise « des découvertes », espérant un retour sur investissement. Si ses « découvertes » étaient retardées, c’est parce qu’il demandait trop de profits aux souverains qu’il avait contactés avant. Il demandait des « droits d’auteur » de la part d’Isabelle de Castille ou la Catholique et de Ferdinand d’Aragon, menant à des négociations de marchands de tapis. Il demanda en outre le titre de « Vice-Roi et amiral des mers océanes » aux souverains qui ont pris Grenade en 1492. Il est clair : il n’a pas fait ce voyage périlleux pour les beaux yeux d’Isabelle.

Colomb avait l’âme d’un marchand obnubilé par le profit transfrontalier, c’était un mondialisateur sans âme, prêt à tout pour « asservir » populations et ressources sur sa route…

En naviguant aux Indes par l’Ouest, sur la mer sombre de l’Atlantique, Colomb emmenait avec lui non pas la crème de l’aristocratie espagnole, mais souvent des repris de justice, que l’on sortait de geôle, les poussant à la mer, personne ne voulant y aller. Ce type de population explique en partie la férocité avec laquelle les « découvreurs » ont traité les « indigènes » qui leur fournissaient de l’eau et des vivres dans l’arc caribéen.

Colomb était donc un marchand-navigateur, obnubilé par les richesses et non au service d’une noble idée de la découverte accomplie au nom d’une éthique humaniste. Il n’était pas mû d’un réel désir de découvrir le monde et les habitants de la planète pour agrandir la connaissance de son époque. Il était plus terre-à-terre. La preuve de cela ?

Il a ravi la prime de la découverte à la vigie qui a vu la terre en premier au terme d’une navigation difficile, découverte faite avant lui, en dépit du récit qu’il en fait. Ce marin, à bord de la Pinta (la meilleure voilière de la flottille colombine), se nommait Rodrigo de la Triana, qui aperçut la côte de Guanahani, l’une des îles des Caraïbes (Bahamas), à deux heures du matin, le 12 octobre 1492. Il a une statue à Séville avec un doigt montrant la terre.

Colomb l’usurpateur des « découvertes » avait promis une prime de plusieurs milliers de maravédis à celui qui verrait la terre en premier. Quand le matelot de la Pinta le devança, il ne put résister à la tentation de travestir la réalité pour garder la prime pour lui et préserver la chance de voir son nom écrit en lettres d’or dans l’histoire de la chrétienté… Il s’affairait à construire sa propre statue par tous les moyens.

À cela, s’ajoute le fait que Colomb cinglait vers une route de commerce, aux Indes, à Cathay (Chine) ou à Cipango (Japon) pour les épices, la soie et l’or et non pour converser avec des humanités. Il ne désirait qu’une chose : « chercher l’Orient par l’Occident, et passer par la voie de l’ouest à la terre où naissent les épiceries ». Il était un marin avec le business en tête (10% des richesses des « découvertes » devaient lui revenir) et une idée bien arrêtée de la conversion des athées.

Aussi, est-ce menacer sa « blanchitude » en dénonçant cet excellent marin père des génocides des Amérindiens ? Je ne le pense pas.

Il est donc temps que l’imposture du récit de la bravoure de l’homme blanc « découvreur » du monde soit mise en mire, car la colonisation a proclamé que le blanc était supérieur aux gens de couleur, décrétant qu’il avait un fardeau (une mission), celle de civiliser les moins évolués ou les sauvages de couleur. Voilà pourquoi on le déboulonne statutairement ou statuairement un peu partout, et c’est une étape nécessaire, mais pas exhaustive pour donner à la mémoire la correction de l’Histoire dépoussiérée de ses préjugés, ses « blancs », ses non-dits, ses effacements.

Donc, même si le mythe du grand navigateur peut perdurer, il s’agit de rappeler que Colomb était parti pour l’or et les épices et même, avec l’idée d’une croisade, qui décida les Rois catholiques à le financer, car avec la reconquête de la péninsule ibérique sur les Maures, les infidèles, l’élan était donné : il fallait évangéliser le monde dans la foulée.

Ceci, je le rappelle sans erreur, car j’ai lu certaines de ses lettres à Simancas, dans les archives royales de Castille, où elles sont exposées, sans parler de son récit de voyage et de nombreux ouvrages rares que je collectionne sur lui. J’ai visité le couvent de la Rabida, où il sollicita un moine pour faire connaître ses projets aux Rois catholiques, pas loin de Palos de la Frontera, d’où il partit pour le vaste océan. Je chemine sur les pas de Colomb depuis le tournage de mon documentaire en Andalousie en 1999.

Un portrait contrasté du « découvreur »

Répétons-le : Colomb n’était pas un humaniste, loin de là.

Difficile à croire tant l’éclat du découvreur patenté du « Nouveau-Monde » obscurcit le reste…

Il écrivit dans son Journal de bord (il en avait un deuxième pour cacher les vraies distances couvertes pour ses « découvertes ») qu’en voyant la douceur des peuples premiers des îles, dont Hispaniola (l’actuelle Haïti), qui ne savaient même pas ce qu’était une épée (l’un s’en coupa la main et la prenant par la lame, n’ayant aucune idée de cet instrument de mort), il se mit à penser… Pas pour les remercier de leur accueil ou gentillesse, mais pour dire au roi qu’il suffirait de quelques centaines de soldats pour en faire des esclaves, pour chercher de l’or et développer les richesses dans les colonies. Un homme d’affaires, voulant un retour sur investissement…

Colomb écrit ceci à cette première rencontre avec les autochtones : « Ils n’ont pas d’armes comme les nôtres et ne savent même pas ce que c’est. Quand je leur montrai des sabres, ils les prenaient par le tranchant et se coupaient les doigts. Ils n’ont pas de fer (…)  ils doivent être des serviteurs fidèles et d’une grande douceur. Ils ont de la facilité à répéter vite ce qu’ils entendent. Je suis persuadé qu’ils se convertiraient au christianisme sans difficulté, car je crois qu’ils n’appartiennent à aucune secte ». (…) Avec seulement cinquante hommes, nous pourrions les soumettre tous et leur faire faire tout ce que nous voulons ».

L’amiral des mers océanes était un esclavagiste dans l’âme. Et il fit des émules. Plus tard, les conquistadors mirent les Amérindiens en esclavage dans les mines d’or…

Colomb, un pilleur et un génocidaire, quand on sait le funeste sort de ces gens pacifiques qui accompagnèrent le pionnier des conquistadors dans ce « nouveau » monde qu’il pensait être l’Asie… L’île qu’il « découvre », qu’il nomme San Salvador, pense-t-il, est le Japon. En discutant avec les « Indiens », il se dit qu’il est très proche des richesses de l’Inde. À moins que ce ne soit la Chine… Un voyageur égaré. Loin des images d’Epinal de l’homme sûr de lui, Colomb est un géographe déterminé par les richesses qu’il cherche… Rappelons que le Journal de Colomb a pour but, selon les dires des historiens, avant tout, de faire sa propre promotion.

Voilà pourquoi il faut faire une pédagogie colombine, loin des édulcorations des textes scolaires ou des hagiographies faisant l’éloge du grand « découvreur » sans failles.

Découvreur avez-vous dit ?

Deux faits sont à rappeler : on ne découvre pas un continent où une brillante civilisation méso-américaine a existé, où leurs villes, du mot même de Cortez ou Pizarro, faisaient paraître des villes européennes comme un modeste quartier des ensembles urbains des « indigènes…

Découvreur, avez-vous dit ?

Comment se fait-il que le sieur Colomb n’ait jamais compris qu’il venait de mettre pied sur un espace que les Européens (excepté Saint Brendan ou les Vikings ?) ne connaissaient pas, c’est-à-dire, que par accident, il atterrissait sur « un nouveau continent » ?

La preuve en est que sa « découverte » ne porte pas son nom (excepté, par exemple, la Colombie et Columbia), mais celle d’Amerigo Vespucci, navigateur génois, qui dénonçait les inepties du « grand découvreur », qui dans un état de semi-folie, proclamait encore sur son lit de mort qu’il avait découvert… les Indes. Le « découvreur » voguait vers les épices et la soie asiatiques, et non un « nouveau continent ». Cela lui a échappé. Par contre, il a initié, historiquement, le génocide des « Indiens » et l’esclavage des Africains. Ce que l’on célèbre dans le « découvreur » Colomb en Europe ou chez les blancs d’Amérique est ce que l’on pleure de l’autre côté du monde ou de Harlem.

Le mythe colombin, il me semble, est arrivé à son point de contradiction ultime.

Déboulonnage et pédagogie

Colomb, érigé en mythe du découvreur intrépide et de bravoure européenne, nous a laissé une monumentale erreur de nomination géographique : les Indes occidentales.

Intrépide navigateur-marchand, mais sans aucune idée de sa « découverte », écrasée sur une entreprise à rentabiliser…

Donc, c’est bien de déboulonner Colomb, mais aussi le faire historiquement, symboliquement, pédagogiquement, en explorant le langage, sans gommer la complexité de l’Histoire.

Colomb était un excellent marin, mais un détestable humain.

Ce qu’il faut maintenant faire, à l’image de la statue de l’esclavagiste Colston, qui a été jetée à la mer et repêchée à Bristol, pour être exposée dans un musée avec le label esclavagiste, c’est la nouvelle vision à faire naître aux temps présents. Celle-ci sera nécessairement issue d’une pédagogie qui ne consiste pas à jeter des statues à la mer ou à les déboulonner physiquement à tout-va, mais nous poussant à aller voir derrière les statues, à nous confronter à la vie plus longue des mythes des « héros », nous permettant de questionner les transmissions de repères qui font le récit national. C’est un combat de longue haleine et il faut s’y atteler d’urgence.

Il importe d’aller au fond des choses, de décrypter les maquillages de l’Histoire, sans lui enlever de sa complexité. Il s’agit d’expliquer pourquoi la colonisation des esprits perdure et comment à cette étape de la mondialisation des géographies humaines et mentales, les blancs les noirs, les rouges, les marrons sont des « héritiers » de Colomb, le pionnier et non seulement « découvreur » qui a initié l’entreprise de la colonisation, de l’exploitation humaine, développant une hiérarchisation encore en cours dans les sociétés actuelles, entravant l’égalité entre les diverses composantes de celles-ci.

Plus que le colorisme ou le racisme qui voudrait blanchir ou noircir l’Histoire, il est urgent de déboulonner nos tics, réflexes, faux récits de l’Histoire, pour construire une histoire mondiale plus vraie, plus inclusive.

Celle qui est complexe, qui ne se maquille pas selon ses fantasmes ou ses règlements de comptes sommaires ou désirs de domination depuis que Colomb abordé Guahani. Il faut accomplir ce travail en vue de nous penser comme humanités à égale valeur, dans le dépassement nécessaire entre les couleurs de peau, reliant ceux qui sont « découverts » ou « découvreurs », pour nous penser en espèce humaine différenciée et solidaire d’un destin commun.

Un grand chantier en cours et à venir, dans l’œil même de la Covid, qui est un catalyseur des inégalités, injustices mémorielles, historiques et des versions coupables d’une Histoire asservie à des causes racialistes ou mensongères.

Un exemple de construction mémorielle à l’île Maurice

Je conclurai en citant une expérience à laquelle j’ai été associée, et qui a créé un espace, au vu des mouvements des statues ou des noms des rues en cours, à méditer, dans mon île Maurice natale. C’était lors de la commémoration du bicentenaire de la bataille de Grand Port en 2010, seule bataille navale remportée par Napoléon.

J’étais invité à faire partie d’un comité du nom du géographe Al Idrissi, qui avait collaboré avec Roger II de Sicile. Nous y avons lancé l’idée d’un timbre, d’un planisphère et d’un ouvrage sur l’histoire non-européenne de l’océan Indien.

L’idée était de donner une autre version des faits des « découvertes » ou navigateurs dans l’océan Indien. Je salue ici la sagacité du gouvernement mauricien supervisant cette commémoration et celle de la Municipalité de Port-Louis, ma ville natale.

J’avais proposé de réhabiliter un espace du Jardin de la Compagnie des Indes (nous y revoilà…), jardin colonial par excellence.

Les autorités municipales acceptèrent ma proposition. Il fut convenu d’y poser une fontaine rénovée avec une statue de dauphin du sculpteur D. Bungshee, qui avait réalisé la statue de Pierre Poivre, Intendant de l’Isle de France pendant l’esclavage, œuvre inaugurée par Jacques Toubon en 1993. Autour de cette œuvre, j’avais opté pour des récits de navigateurs non-européens, cachés par la version officielle des histoires des « découvertes », sans omettre des textes de Marco Polo, parlant de Chine, par exemple.

Le PM Ramgoolam inaugura cet espace emblématique, comportant une promenade avec des textes affichés autour de la fontaine, ouvrant le récit de l’océan Indien de façon plurielle, sans hiérarchie d’un « découvreur » officiel, qui y venait pour les épices, la soie et d’autres richesses.

J’y rappelai la grande continuité culturelle de cet océan, notre mare nostum, dans ses diversités, rappelant ses inventions nautiques propres, comme contrepoints à l’Histoire de la mer que l’on impose trop souvent aux autres.

Cet espace dénommé l’Allée des Voyageurs (et non d’orgueilleux découvreurs) est un franc succès, visité par des centaines de milliers de personnes chaque année. Preuve que l’on peut faire un « déboulonnage » autre que statuaire (un premier pas d’importance actuellement, car il initie un débat de fond), par l’élaboration d’un langage qui rétablit la diversité des vues, des faits, sans effacer des mots qui font « voir rouge », pour non plus un devoir, mais un TRAVAIL des mémoires, un travail de longue haleine…

Pour l’heure, il ne vient pas à l’idée de demander à quiconque de s’excuser d’être blanc. Là n’est pas la question, même si Trump se déclare le champion de la « blanchitude », à tort et à travers.

Ce qu’il s’agit de faire c’est de démasquer une histoire et une mémoire qui ont établi une continuité entre les chaînes de l’esclavage, de l’engagisme, de l’oppression et ce genou de Chauvin sur le cou de George Floyd, dont les malheurs remontent à la « découverte » de l’Amérique par Colomb, menant aux controverses de Valladolid (pour savoir sur les « Indiens » avaient une âme pour pouvoir en faire des esclaves ou non), la négative ayant donné le signal à la traite transatlantique des Noirs. Ce genou asphyxiant désignait l’asthmatique Floyd comme descendant d’esclaves, comme représentant de minorités brimées, dans une Amérique, où le fait racial demeure un vivier de haine et de violences récurrentes, ravivé par des populistes sympathisant avec le KKK.

Donc, ramener tout cela une histoire de couleur serait ne pas donner la réponse nécessaire à ce drame.

C’est qu’il est important de faire est que nous combattions le racisme en déboulonnant nos faux héros et symboles de toute-puissance racialisés par ceux qui ont intérêt de diviser pour régner. Où qu’ils soient…

Entre la mémoire et l’Histoire, il y a le récit national, souvent né d’un choix politique établissant le panthéon des héros censés être fondateurs de la nation.

C’est ce récit ou souvent cette fiction avec ses interprétations partielles ou partiales qu’il faut re-énoncer avec le déboulonnage ou non, au pied des statues.

Il faut que la mémoire soit réactualisée avec des faits historiques avérés dans leurs facettes complexes, que l’Histoire ne soit pas que des archives tronquées servant à édifier une version officielle des faits du passé, pour formater les générations actuelles dans une mythologie qui peut s’avérer toxique.

La blanchitude n’est donc pas le problème, c’est le blanc-seing de la mémoire, cette capacité de tordre le cou à l’Histoire (sans jeu de mots), pour qu’elle bégaie et « asphyxie » les nécessaires relectures et introspections actuelles.

D’autant plus que ceux qui taguent ou déboulonnent les statues sont souvent des « blancs » qui s’insurgent contre le virus du racisme systémique qui gangrène leur mémoire et leur sens de justice.

Ce n’est pas la couleur du déboulonneur de la statue ou celle de ceux qui reboulonnent qui importe, mais bien la couleur dégradée de l’autre que ces symboles induisent en négatif dans chacun(e) d’entre nous… Et qu’il s’agit d’inscrire dans un récit vrai des faits, sans colorisme de la pensée ou de l’éthique à défendre au nom des droits de chacun.e à l’égalité.

Mouvement qui n’arrêtera pas de traverser les consciences, pour un meilleur vivre ou faire ensemble, maintenant que l’on sait qu’un « découvreur » peut aussi cacher un génocidaire…

23 juin 2020

 

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