Jean-Michel Giraud : « La mafia a fait main basse sur le Champ de Mars ! »

Le feuilleton opposant l’État, à travers le Gambling Regulatory Authority, au Mauritius Turf Club a connu un nouvel épisode cette semaine avec la démission forcée de Jean-Michel Giraud de la présidence du Club qui organise depuis plus de 200 ans les courses hippiques à Maurice. Quelles sont les raisons de cette démission et plus largement quelles sont les vraies raisons de cet affrontement État/MTC ? C’est pour poser ces questions que nous avons rencontré, vendredi après-midi, Jean-Michel Giraud, plus que jamais déterminé à mener le combat contre « la mafia qui a fait main-basse sur les courses hippiques à Maurice. »

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Quel est le problème qui existe dans l’organisation des courses hippiques à Maurice, au point de pousser le gouvernement, à travers plusieurs de ses institutions, à exiger — et surtout à obtenir — votre démission de la présidence du Mauritius Turf Club ?

— Il n’y a pas de problème, mais une volonté de contrôle. Depuis quelques années, l’État, à travers la Gambling Regulatory Authority, essaye de contrôler l’organisation des courses hippiques à Maurice. Cela a conduit à un affrontement entre l’institution gouvernementale, qu’on vient de créer, et le club privé, qui existe depuis plus de 200 ans ! La présentation et l’adoption, l’année dernière au Parlement, de la GRA Act sont venues concrétiser ce qu’il faut bien appeler la nationalisation des courses hippiques à Maurice. Depuis, l’État contrôle tout ce qui se passe au Champ de Mars. Absolument tout.

Beaucoup disent que les courses ne rapportent pas, que le MTC roule à perte. Pourquoi est-ce que l’État fait tout pour contrôler un secteur financièrement déficitaire, un cheval boiteux pour employer un terme utilisé sur les hippodromes ?

— Les gens qui disent que les courses ne rapportent pas ne savent pas de quoi ils parlent. Parce que les courses hippiques sont un business florissant qui génère entre Rs 15 et 20 milliards par an. Mais il n’y a qu’une partie de cette somme, autour de Rs 5 milliards, qui entre dans le circuit officiel. Le reste va dans le circuit des paris clandestins, dont l’État, qui veut tout contrôler, semble ne pas vouloir se préoccuper.

Vous voulez dire que l’État ne perçoit pas de taxes sur ces Rs 10 milliards de ce black money qui se perdent dans la nature ?

— Vous avez tout compris. Mais cette somme ne se perd pas dans la nature. L’État aurait dû percevoir 14% de ces Rs 10 milliards par an en termes de taxes, mais il ne prend aucune mesure pour récupérer cette somme énorme. Il semble vouloir faire le contraire…

Vous êtes en train de dire que l’État, qui vient d’inventer une amende pour ceux qui portent mal le masque sanitaire pour faire enter de l’argent dans ses caisses, ne fait rien pour récupérer 14% de Rs 10 milliards par an ?

— Je suis arrivé à la même conclusion que vous.

C’est ça la bonne gouvernance à la mauricienne ? Revenons à votre parcours au MTC. Comment en êtes-vous devenu le président l’année dernière ?

— J’ai des amis dans les courses, j’ai été propriétaire et même commissaire il y a très longtemps, mais je ne suis pas un gambler. L’année dernière, des amis, qui sont dans le milieu du turf, m’ont approché pour prendre la présidence du MTC, qui perdait de l’argent depuis plusieurs années. Ils ont fait appel à mes qualités de gestionnaire. J’ai accepté et dans une réunion, j’ai dit aux responsables de la GRA : allons réfléchir sur le moyen de réduire au maximum les paris clandestins.

Il y a autant de bookmakers clandestins que de bookmakers officiels ?

— À un moment donné, nous avons employé quelqu’un pour faire une enquête sur ce sujet particulier. Trois semaines plus tard, il est arrivé avec une liste impressionnante, connue de tous ceux qui sont dans le circuit. C’est un very big business avec de very big people. Il n’y a aucun gros joueur à Maurice qui joue dans le circuit officiel et on peut se demander si les propriétaires d’écuries en font autant.

Vous ne pouviez ignorer que les organisateurs de paris clandestins — qui brasseraient des milliards — considérant que vous leur aviez déclaré la guerre, allaient réagir…

— Quel était mon choix ? On m’avait demandé de revenir au MTC pour mettre de l’ordre. Nous identifions le principal mal dont souffrent les courses à Maurice et il aurait fallu se taire ? Comme les responsables du MTC l’ont fait pendant des années, ce qui fait qu’ils portent une lourde part de responsabilité dans de ce qui arrive aujourd’hui ?

Ils se sont tus parce qu’ils ne savaient pas ou parce qu’ils étaient, disons… un peu complices ?

— Je préfère ne pas répondre à cette question.

Quelle a été la réaction des responsables de la GRA quand vous leur avez demandé d’aider le MTC à mettre de l’ordre dans le secteur et de réduire au maximum les paris clandestins ?

— Elle a refusé de me donner une Personal Management Licence qui me permet de devenir un des directeurs du MTCSL, qui est un organisme du MTC dont j’étais à ce moment-là le président ! Le président du MTC n’a pas pu siéger sur le board du MTCSL, un organisme que nous avons créé et qui nous appartient à 100% !

Quelle était la raison invoquée pour justifier le refus de la licence ?

— Ils m’ont posé toutes sortes de questions, fait de longues enquêtes sur toutes sortes de sujets et puis ils ont dit que je ne pouvais avoir de PML parce que j’avais participé à un meeting du MMM en 2019 à Chemin Grenier ! Mais avant, j’ai eu droit à toutes sortes d’intimidations : plusieurs contrôles de la MRA sur mes comptes et ceux de ma famille du temps où j’étais directeur de UBP. Une plainte en diffamation de cinq bookmakers suite à un débat sur une radio où j’avais demandé à M. Beekarry de la GRA d’enquêter sur les revenus de certains des 28 bookmakers officiels du MTC. Cinq d’entre eux m’ont réclamé Rs 50 millions, alors que je n’avais pas cité de noms. On m’a aussi poursuivi en diffamation criminelle, ce qui m’a valu d’être convoqué plusieurs fois par le CCID, et j’ai même failli être arrêté. C’est comme ça que j’ai débuté ma présidence au MTC. Tout ça parce que j’ai demandé que l’on s’organise pour combattre les paris clandestins. Je pensais que l’État nous aurait soutenus dans ce combat pour assainir la situation aux courses et récupérer des taxes substantielles: cela n’a jamais été le cas. Je pense que je gêne des personnes qui sont proches du Premier ministre. Je pense que c’est pour cette raison que ce dernier m’a consacré 10 minutes de son intervention sur le budget au Parlement, l’année dernière, pour affirmer que je suis un des bailleurs de fonds du MMM.

Est-ce le cas ?

— Non. Mais même si c’était le cas, en quoi cela devrait m’empêcher d’obtenir une PML dans un pays démocratique ? Je ne savais pas qu’à Maurice les permis sont délivrés selon l’appartenance politique présumée du demandeur !

Moi aussi ! Même si je ne suis pas au courant de ce qui se passe au Champ de Mars, je sais que M. Lee Shim, qui s’est une fois présenté comme un conseiller du Premier ministre, est un de vos adversaires déclarés…

— On peut dire ça. Ce monsieur est, semble-t-il, le propriétaire d’un journal qui “s’occupe” de moi presque toutes les semaines. Avec une telle régularité que je me demande si je ne devrais pas lui réclamer des royalties ! Je n’ai jamais révélé publiquement l’identité de ceux qui, je le pense, se livrent à l’organisation de paris clandestins, mais ils savent que je sais ce qu’ils font. Et j’imagine que, contrairement au président du MTC que j’étais, ils ont eu droit à l’oreille attentive des autorités. Des parlementaires ont posé des questions sur des chevaux dont les noms des propriétaires ne correspondaient pas à ceux sur lesquels ils avaient été déclarés. Aucune enquête n’a été ouverte par la GRA. Quelque part, ce côté mafieux des courses doit arranger et profiter à certaines personnes…

Dev Beekarry, de la GRA, semble ne pas trop vous apprécier…

— Je ne le connais pas. Au lieu de s’asseoir avec nous, de nous soutenir et de travailler ensemble, il semble s’acharner sur moi. Avant moi — et ça n’a pas été mieux après —, il n’y a eu aucun échange entre la GRA et le MTC. Les dirigeants du MTC qui sont allés à des réunions avec la GRA y sont allés pour recevoir des directives, aucune de leurs propositions n’a été retenue ou même étudiée.

Vous êtes en train de dire que les membres du board du MTC se conduisent face à la GRA comme des employés qui viennent prendre des instructions ? Que le MTC a complètement abdiqué face au GRA ?

— C’est exactement ça ! Beaucoup d’anciens dirigeants du MTC ont capitulé dès le départ. Il y a eu pire que ça. Savez-vous que moi, président du MTC, je n’ai jamais eu de rapports des réunions du MTCSL avec la GRA. Je suppose que les membres du MTC avaient tellement honte de leur comportement pendant ces “réunions” qu’ils ont préféré ne pas me laisser savoir ce qui s’y passait. Ce n’est pas tout. Il y a eu un CEO et trois administrateurs du MTC qui ont signé un Non Disclosure Agreement avec le PMO sur l’organisation des courses à Maurice, ce qui est parfaitement illégal. Vous vous rendez compte qu’ils ont signé un accord pour ne pas révéler aux membres du MTC, qu’ils représentaient, la teneur des discussions ! Ils étaient en train de négocier le transfert de tous les assets du MTC dans le MTCSL et puis, trois mois après, on aurait été obligé de laisser entrer dans son capital les organisateurs de paris ! Cela faisait partie d’un plan que des administrateurs du MTC ont accepté en catimini. Quand je suis arrivé à la présidence, j’ai refusé qu’on transfère les assets du MTCau MTCSL.

Qui est derrière toute cette opération pour finir le MTC ?

— Je sais qui c’est, mais je ne vais pas vous le dire.

Mais pourquoi le board du MTC, qui était d’accord avec la GRA, est venu vous demander de prendre la présidence du Club ?

— Ce ne sont pas les administrateurs et les membres du board qui sont venus me chercher, mais les employés, des administrateurs qui n’avaient pas signé le NDA et quelques membres. J’ai accepté et je me suis battu avec des membres qui ont assisté à la mainmise de l’État sur l’organisation des courses sans réagir ou alors de façon, disons, très molle. De ce fait, le MTC n’est plus un organisateur de courses mais, avec les pouvoirs qui ont été donnés à la GRA, il est rendu au rang d’opérateur de racecourse. Et ces dirigeants ont accepté cela ! Il y a deux catégories de Mauriciens : ceux qui ouvrent leur gueule et se battent et ceux qui se courbent.

Pourquoi avez-vous accepté la présidence du MTC ?

— Je considère que ma principale mission consistait à avertir l’opinion publique, le monde politique dans son ensemble de ce qui se passe au Champ de Mars. Pour dire que ce qui se passe au Champ de Mars est en train de pourrir la vie du pays. C’est de l’argent sale injecté dans l’économie qui contribue au pourrissement de la société mauricienne. J’aurais pu me taire comme tout le monde, mais j’aime mon pays et je crois avoir contribué à conscientiser les Mauriciens à ce qui se passe au Champ de Mars. À leur faire comprendre que si on ne met pas de l’ordre, ça va mal finir.

Pourquoi ?

— Parce que l’État, à travers la GRA, contrôle absolument tout dans les courses. Depuis l’achat des chevaux; l’attribution des licences aux écuries, aux entraîneurs et aux jockeys ; la nomination des commissaires de courses et même ceux du board d’appel et décide du programme des courses avec la race card. Je souligne qu’ils ne savent pas gérer tous ces instruments qu’ils se sont attribués. À la première contestation d’un résultat de courses, qui va être tenu responsable de la situation par les parieurs qui ont perdu et ont besoin de rejeter la faute sur quelqu’un ? Tout cela va se retourner contre l’État, qui contrôle tout dans les courses de A à Z.

Pour que les “réactions” des institutions du pouvoir soient aussi violentes, suite à votre demande de mettre de l’ordre dans les paris clandestins, vous avez mis le doigt sur quelque chose de très sensible au plus haut niveau de l’État…

— Je n’aurais jamais pensé que la réaction aurait été aussi violente. Je croyais, naïvement, que le Premier ministre, qui dit avoir déclaré la guerre contre les trafiquants de drogue, aurait combattu les paris clandestins aux courses, dont le black money pourrit la société mauricienne. Je pensais mener un combat qui doit être soutenu au niveau national en commençant par les autorités. Tout le monde sait, y compris le MTC, qui est en train de pourrir les courses. Le gouvernement ne peut pas ne pas savoir. Pourquoi est-ce qu’on ne met pas de l’ordre dans ce secteur et on persécute ceux qui dénoncent ? J’aurais failli à mon job si je n’avais rien dit.

Quelle est votre opinion sur le projet d’hippodrome à Côte d’Or, dont la direction de la GRA fait la promotion à chaque fois qu’il en a l’occasion ?

— Côte d’Or n’est définitivement pas le bon endroit pour construire un hippodrome à cause de la fréquence de la pluie. J’ai déjà eu l’occasion de poser la question : comment peut-on construire un hippodrome dans un endroit où il pleut 400 jours par an ? Le MTC a un projet d’hippodrome dans la région de Médine où toutes les conditions sont réunies. Il suffit que le gouvernement donne le feu vert et on y va en finançant le tout et en ouvrant une partie du capital du projet au gouvernement. On n’a jamais pu obtenir le feu vert pour ce projet alors que celui de Côte d’Or semble l’avoir déjà obtenu. Le gouvernement devrait laisser le privé faire les projets de ce genre et se concentrer sur la construction des hôpitaux, des écoles et des maisons pour les plus pauvres. C’est ça le travail d’un gouvernement !

Il semblerait que le gouvernement actuel ait d’autres priorités. Finalement, le pot de fer a eu raison du pot de terre et la GRA — et le PMO — ont obtenu votre tête. C’était la destitution ou la démission ?

— Il n’a jamais été question de destitution. J’ai démissionné parce que je me suis rendu compte que tant que je resterais, tout serait bloqué. J’ai démissionné à cause de la paye des employés du MTC à la fin du mois. Jai compris que tant que je resterais là, ils n’allaient pas accorder de licence et les employés ne seraient pas payés. J’ai démissionné uniquement à cause de ça.

On lit dans la presse de ce vendredi matin des déclarations de membres du MTC par rapport à votre démission. Ils disent, entre autres, qu’il était temps que vous partiez, que vous avez mauvais caractère, que vous étiez sur la mauvaise voie, que vous n’avez jamais su prendre le recul nécessaire…

— Parmi ceux qui ont fait ces commentaires, il y en a un qui a quatre chevaux dans son écurie qui appartiennent à quelqu’un de pas très reluisant dans le monde hippique ! Il aurait dû se taire. Tous les administrateurs qui ont signé le NDA avec le PMO et ont caché les négociations aux membres du MTC devraient avoir honte et se taire. De même que les entraîneurs des écuries qui ont signé une circulaire pour me demander de step aside. Une partie d’entre eux ne sont pas membres du club et tout le monde sait qui est leur vrai patron, qui possède des chevaux dans plusieurs de leurs écuries. Il y a des gens qui feraient mieux de se taire !

Depuis votre démission forcée, vous avez eu deux successeurs. Un premier, Anil Ramnarain, dont la nomination n’a pas été ratifiée par le PMO. Est-ce que j’ai bien compris ? Le MTC est devenu un corps paraétatique dont la nomination des présidents doit avoir l’aval du PMO ? Le board du MTC est devenu un rubber stamp du gouvernement, comme n’importe quel corps paraétatique ?

— C’est exactement ce qui vient de se passer. Les autorités gouvernementales n’ont pas voulu d’Anil Ramnarain, qui est un des meilleurs administrateurs de ma connaissance et qui aurait été un excellent président. Ils ont préféré Paul France Tennant. Je ne crois pas qu’il soit le président qu’il faut pour le MTC. Par ailleurs, je me méfie toujours des personnes choisies par les autorités, plus particulièrement celles qui sont recommandées par le PMO.

Est-ce que tout ce qui vous est arrivé et le manque de soutien dans le combat signifient que le nombre de ceux qui osent se mettre debout et se battre pour des causes justes est en train de diminuer à Maurice ?

— Ce que vous venez de dire correspond, hélas, à une certaine réalité. Ceux qui sont prêts à se battre sont de moins en moins nombreux. J’ai reçu beaucoup de messages depuis ma démission, surtout des gens simples, mais également des gens qui ont un poids dans la société. Ces derniers m’écrivent : Bravo ! J’admire ton courage. J’ai envie de leur répondre : Et vous, qu’est-ce que vous faites pour changer la situation à part de poster discrètement des messages de félicitations sur internet ? C’est une autre manière de répondre à votre question.

Avec ce franc-parler, de plus en plus rare à Maurice, on comprend que vous n’avez pas un grand nombre de supporters ! Que souhaitez-vous dire pour terminer ?

— Il faut continuer à informer les Mauriciens sur ce qui se passe au Mauritius Turf Club. Il faut expliquer comment la mafia a mis la main sur l’industrie des courses à tous les niveaux. Il faut souligner que, non seulement elle n’est pas combattue, mais il semblerait qu’elle soit protégée.

On a découvert la question suivante sur les réseaux sociaux : Asterla ki gouvernma – à travers GRA – finn pran kontrol MTC, ki kalite lekours li pou organize ? Lekours bourik ? Votre commentaire ?

— C’est une question très pertinente !

 

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