La veille d’aujourd’hui 

La veille d’aujourd’hui, vous connaissez ? Non, il ne s’agit pas forcément d’hier mais bien d’aujourd’hui, et on ne parle pas nécessairement de demain non plus. Le jour de veille c’est bien aujourd’hui, mais c’est vrai qu’il peut tout aussi bien s’agir d’hier, de demain ou de tout autre jour.
Bref, si le communiqué de la météo dit qu’aujourd’hui c’est veille de forte pluie, rassurez-vous, elle ne s’est pas trompée. A priori, puisque les prévisions météorologiques sont, elles, imprévisibles et difficilement fiables, la confusion totale est, elle, facilement possible !
Le nouveau système d’alerte de la météo concernant les risques de forte pluie à quelque peu embrouillé les habitants de Maurice, comme nous avons pu le constater. Évident pour beaucoup d’entre nous et pas du tout pour d’autres, les premiers communiqués de la météo utilisant ce système de vigilance a rempli les conversations familiales et les réseaux sociaux de commentaires les uns plus cocasses et amusants que les autres : « Si zordi la veille, donc la pli dimin ? » – « Ah maintenant je comprends. Stupide que je suis ! Je me demandais pourquoi la météo nous prévenait 24 h avant qu’il allait pleuvoir demain, alors qu’aujourd’hui il pleut des cordes, et qu’il n’y a pas de communiqué » – « La veille c’est bien aujourd’hui ? Donc il y a l’école ou pas ? » – « Tous les jours pou la veille meme ? Zour la kan li ete ? »
Ceci dit, il y a de quoi en perdre son latin !
Désormais, ces problèmes de compréhension sont réglés. Sauf que, jeudi dernier, le pays a été copieusement arrosé alors que l’avis de forte pluie avait été enlevé le matin même. De nombreux dégâts ont été rapportés de part et d’autre et une nonagénaire a tristement perdu la vie après avoir été emportée dans une rivière. Vendredi, c’était encore un autre déluge !
Il y a, certes, eu des dégâts des eaux mais la pluie a aussi fait des heureux. Notre île a enfin recueilli quelques précieux millimètres, ces jours-ci. Cela fait beaucoup de bien à la nature et nos réservoirs se renflouent petit à petit.
Les plus contents restent les écoliers qui affichent des sourires radieux, les yeux encore fermés, calés dans leur lit bien au chaud et à l’abri des ondées, lorsqu’ils apprennent la bonne nouvelle. « Pas d’école ! » Je le redis encore une fois : la prière des bambins marche du tonnerre.
Dame nature aussi se réjouit de ces flots qui arrosent notre sol assoiffé. Quant aux gouttes de pluie, elles nettoient et nourissent les feuilles craquantes et poussiéreuses. Depuis les averses, la nature est joyeuse, revit et reverdit, après avoir jauni à cause d’un manque d’eau éprouvant pour elle. Elle accueille les douches d’eau telles des caresses revigorantes, rafraîchissantes et surtout vitales.
Les oiseaux se sont eux cachés non pas pour mourir mais pour protéger leur beau plumage de ces intempéries qui font coller leurs plumes à leurs corps fébriles. De temps en temps, ils sortent, s’essayent hors de leur nid douillet et se risquent même à quelques battements d’ailes pour aller se nourrir. Ils osent sortir de leur silence et pousser la chansonnette avec leurs cui-cui. J’entends les moineaux tout-mignons et les corbeaux plus coriaces qui sortent et volent tout en se laissant effleurer par le petit vent qui vient sécher tout ce qui a été mouillé comme une soupe.
Un serein trempé comme un canard se secoue machinalement. Il attend sagement sur une branche glissante le moment opportun pour déployer ses ailes, voler librement et regagner les espaces aériens sans limite.
Les précipitations de la semaine passée, désastreuses ces derniers jours, donnent droit à des scènes particulières. Certaines sont pleines de poésie puisque la pluie évoque et inspire la nostalgie, la mélancolie et le romantisme.
Voyez comme les gouttes d’eau rampent hésitantes et tremblantes sur les vitres de nos fenêtres. Ces gouttes qui, si déposées sur une feuille, restent là, bien rondes, dodues et transparentes, attendant cet instant où elles glisseront pour rejoindre la terre trempée, imbibée d’eau.
Partout, des cascades d’eau se déversent, lavent les murs, les perrons et les toits pour purifier nos maisons, comme pour suggérer à ceux qui y habitent de se laver de leurs péchés.
Alors que je suis en voiture, je vois, derrière mon pare-brise tâché de gouttes de pluie de diverses tailles et formes, une enfant. Elle a une mine boudeuse et des yeux noirs pétillants et tient fermement la main de son père. Ils sont tous les deux côte à côte sous un parapluie bleu vert. Lui, tout de bleu habillé, attend patiemment que la pluie cesse. Elle, belle dans sa robe aux couleurs chaudes surmontée d’une ceinture en tissu orange vif, l’observe du haut de son mètre de hauteur, les yeux pleins de questions. Cette scène est brouillée par les essuie-glaces qui vont et viennent et par les gros grains qui s’écrasent sur ma vitre. C’est une peinture qui prend vie devant moi, c’est une histoire qui s’anime en stand still. La scène est d’autant plus belle qu’à travers l’eau et la vitre, elle ressemble à une mosaïque colorée et saccadée.
Avec cette pluie d’été, me vient l’envie de sortir de la voiture pour danser, marcher, tournoyer ou, tout simplement, m’immobiliser et m’asseoir sous cet azur voilé recouvert d’épais nuages qui déversent des rincées tantôt douces, tantôt furieuses. Sous ces immenses tapis aux cinquante teintes de gris gonflés d’eau suspendus très haut au-dessus de nos têtes, il est bon de sentir cette eau venue du ciel nous fouetter au visage. Tels des gamins, nous pouvons d’abord nous laisser imprégner de la pluie jusqu’aux os pour ensuite patauger dans les flaques.
Mais trêve de mots poétiques !
Ce n’est pas demain la veille que nos réservoirs seront pleins. Mais c’est un bon et encourageant début.
Maintenant que les métros roulent à droite, à gauche, espérons que la nécessité de « réparer » nos réservoirs fissurés soit la priorité des élus responsables de cela. « En tout temps, le sage veille », nous dit un proverbe. Qui est le sage de notre gouvernement qui veillera à cet essentiel pour les Mauriciens ? Aujourd’hui, pas demain. La veille des réservoirs c’est tout de suite.

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