Roshi Bhadain : « Les vieux partis regardent le passé, le Reform Party l’avenir ! »

Notre invité de ce dimanche est le leader du Reform Party, Roshi Bhadain. Dans l’interview, réalisée cette semaine, il revient sur le congrès de son parti, ses différends avec certains des partis de l’opposition et sa vision politique. Il présente également quelques propositions du Reform Party pour un vrai changement de système.

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Le Reform Party annonce 4 000 personnes à son meeting de dimanche dernier. Dans la mesure où on sait qu’une partie des foules des meetings est importée, combien d’autobus avez-vous loués pour dimanche dernier ?
— Nous n’avons pas importé de foule. Il y avait une majorité de personnes du sud qui sont venues par leurs propres moyens. Nous avons aussi mis à la disposition de nos partisans un certain nombre d’autobus.
l Pourquoi avez-vous organisé cette sortie politique à Mahébourg, dans le sud du pays ?
— Parce que je crois qu’il existe dans le sud une prise de conscience qu’il faut changer de système. Cette prise de conscience est plus aiguë qu’ailleurs sans doute après la catastrophe écologique et sociale du Wakashio qui a profondément affecté le quotidien des habitants de cette région, sans mobiliser leurs élus au gouvernement. Pendant le confinement, nous avons organisé des réunions dans les petits villages du sud où nous avons expliqué les mauvaises décisions du gouvernement et leurs conséquences sur le pays. Par exemple, l’utilisation des réserves de la Banque de Maurice qui a provoqué la dévaluation de la roupie et une inflation galopante. Notre analyse simple et rationnelle dans un langage de vérité s’est révélée exacte. C’est exactement la même chose pour ce que nous avions dit sur le métro. Nos craintes se sont réalisées à Quatre-Bornes, qui est aujourd’hui une ville défigurée. Tout cela démontre que nous avons raison quand nous disons que le gouvernement n’a ni planning ni vision pour le pays.
Pourquoi avez-vous quitté l’Entente de l’Espoir alors que beaucoup de Mauriciens souhaitent un regroupement des forces de l’opposition pour faire face au gouvernement ?
— Voici la chronologie des faits. Depuis février de cette année, Paul Bérenger et Xavier-Luc Duval essayent de négocier un accord électoral avec Navin Ramgoolam. Ils sont tombés d’accord en juillet pour un regroupement des forces de l’opposition, mais qui exclut le Reform Party et le Rassemblement Mauricien. À l’assemblée des délégués du Reform Party, une majorité a voté pour une alliance avec de nouveaux partis, pas les vieux partis. Vote qui aurait irrité le leader du MMM. C’est par la suite qu’Arvin Boolell a annoncé une alliance pour les municipales entre le PTr, le MMM et le PMSD sans le RM et le RP. Il paraît qu’avec le vote des délégués, nous nous sommes exclus de l’Entente de l’Espoir. Jusqu’aujourd’hui, je suis incapable de dire si on a demandé au Reform Party de quitter l’Entente ou s’il s’est exclu de lui-même !

Est-ce que vous regrettez cette exclusion, “à l’insu de votre propre gré” ?
— Non seulement je n’ai pas de regret, mais je ne suis même pas irrité en dépit du fait que nous avons bien travaillé au sein de l’Entente de l’Espoir pendant dix-huit mois, une plateforme de tous les partis de l’opposition, sauf le PTr. Je n’ai aucun regret parce que je suis en train de suivre la ligne votée par mes délégués qui rejoint le souhait profond de la population, comme on peut le constater sur les réseaux sociaux, les radios privées et le meeting du RF de dimanche dernier.

Le vote de l’assemblée des délégués demandant au parti d’aller seul aux élections casse un concept respecté depuis l’indépendance : on ne peut pas gagner des élections sans une alliance…
— C’est ce que veulent les membres du Reform Party, c’est ce que veut une grosse majorité de Mauriciens qui souhaite un meilleur avenir. Pour moi, l’île Maurice doit aller nécessairement dans cette direction, ce que les vieux partis politiques tellement ancrés dans le concept qu’ils ont pratiqués ne veulent pas.

Ces partis sont déconnectés de cette réalité et réfléchissent en termes de leurs pourcentages. Ils n’ont pas tiré les leçons des élections de 2014 où les pourcentages ajoutés du MMM et du PTr auraient dû donner 60/0 !

Le Reform Party s’attaque également à un concept politique non écrit mais pratiqué, à part une notable exception, selon laquelle seul un Vaish peut devenir Premier ministre à Maurice…
— Encore un autre mythe dans la mesure où 80% de la population mauricienne n’est pas Vaish. C’est une fausse perception, devenue une frayeur, qui a été ancrée dans la tête des Mauriciens, surtout dans celles des communautés dites minoritaires. Si on fait un calcul scientifique sur 20 circonscriptions, il y a seulement trois avec une majorité de Vaish à Maurice. Pour changer Maurice dans le long terme, il faut regarder le pays dans son ensemble, regardless where you live, who you are, et que chaque Mauricien se retrouve dans le nouveau système qu’il faut mettre en place.
Mais que faites-vous de ce que les politiciens, dont Pravind Jugnauth, qualifient de « réalités électorales » ?
— Ça veut dire quoi les « réalités électorales » : que les Mauriciens sont de primitifs qui votent en fonction de qui ils sont au lieu de ce qui est bon pour eux, leurs enfants, leur pays ? Qu’ils sont incapables de participer à l’évolution du monde grâce aux nouvelles technologies ?

Et que faites-vous du fameux « hindu belt » électoral que se disputent le PTr et le MSM, et où ce dernier a organisé une série de congrès la semaine dernière ?
— Tout d’abord, le Premier ministre doit représenter TOUS les Mauriciens, pas seulement les électeurs d’une communauté et de certaines circonscriptions. Un député est celui de toute la circonscription, pas seulement celui des électeurs qui ont voté pour lui. Pour en revenir sur les alliances dans l’opposition, il faut dire que ce que le Reform Party fait n’est pas différent du combat mené par le MMM depuis sa création, et nous avons bien travaillé avec le PMSD ces derniers mois. Mais je pense que tirer Jugnauth pour remettre Ramgoolam au pouvoir sera du pareil au même. Si Bérenger et Duval veulent aller dans cette direction avec Ramgoolam comme Premier ministre, ils sont en train de faire une grossière erreur en pensant que les mythes dont nous venons de parler seront applicables dans le futur. Le Reform Party pense qu’il est temps de changer fondamentalement le système.
Ce n’est pas possible avec Ramgoolam et le PTr ?
— Nous n’avons jamais dit que nous ne voulions pas du MMM, du PMSD, du RM et même du PTr. Mais le PTr avec Ramgoolam ce n’est pas possible. Bérenger et Duval ont accepté Ramgoolam comme futur PM. Mais que va faire Ramgoolam s’il revient au pouvoir sinon du ramgoolamisme en tirant les nominés MSM pour les remplacer par ceux de son parti et de ses alliés ? C’est ça le changement qu’on veut que les Mauriciens plébiscitent ? Il ne suffit pas de gagner les élections, il faut pouvoir gouverner et durer après. En 2014, le peuple avait voté pour une alliance de beaucoup de partis pour deux choses principales : mettre de l’ordre dans le pays et faire un deuxième miracle économique. Qu’est-ce qui s’est passé une année après ? Duval a quitté le gouvernement, comme moi. Même SAJ a dû, sous la pression de Lakwizinn, lev so pake ale. Est-ce que vous croyez que si on refait la même chose aujourd’hui avec tous les partis de l’opposition et Ramgoolam comme PM ça va marcher et durer dans le temps ? Moi, je ne le crois pas.

D’où vient cette affirmation que les Mauriciens ne veulent ni de Pravind ni de Navin ?
— Dans un sondage oublié par votre journal, il était dit que 59,4% de Mauriciens affirmaient qu’ils ne voulaient pas soutenir les vieux partis. Nous avons fait faire un sondage de mars à juin qui nous a donné deux résultats qui vont sans doute vous surprendre. 60% des sondés disent qu’ils ne vont pas voter pour un des vieux partis politiques. Nous avons sondé les électeurs des circonscriptions 4 à 13 qui ont déclaré à plus de 50% qu’aux prochaines élections ils ne voteront ni pour Pravind ni pour Navin. Cette affirmation a été, par la suite, confirmée dans toutes les petites réunions que nous avons faites dans plusieurs circonscriptions du nord et du sud.

Selon vos sondages, une majorité de Mauriciens disent ni Pravind ni Navin pour 2024. Mais est-ce qu’ils disent qu’ils préfèrent Roshi ? Que pour eux « limem meyer » ?
— Je ne suis pas en train de dire ki momem meyer. Je suis en train de vous dire que je suis un combattant pour le changement et que j’ai toute une équipe qui m’entoure et qui est en train de travailler dans cette direction. Je suis convaincu qu’il faut nécessairement aller dans cette direction si on veut que notre pays réussisse et pas seulement au niveau national. Je veux être PM, car c’est le seul poste à Maurice qui permet de prendre les décisions pour modifier ou — ce qui est mon intention – de carrément changer le système. Pas pour l’argent — j’ai dit que je diminuerai le salaire par deux en cas de victoire — pas pour l’honneur, la gloire ou l’ego, comme certains le disent. J’ai une seule vie et j’ai autre chose à faire après cette étape politique nécessaire. Je n’ai pas l’intention de rester à vie dans le système politique, comme les autres.

Vous proposez une série de mesures pour les jeunes, dont des job counters, une équipe de professionnels pour aider les jeunes à monter leurs entreprises, un nouveau plan, entre autres. Mais avant de distribuer les jobs, il faut les créer. Est-ce que c’est possible dans la situation économique actuelle ?
— Ce ne sont pas quelques mesures que nous proposons, mais le changement de tout le système qui est bloqué. Il faut que toutes les offres d’emploi du public et du privé soient centralisées dans un organisme, et rendues publiques avec l’attribution des postes faites dans la transparence et la méritocratie, et en respectant les qualifications et l’expérience. Il faut mettre fin au temps où il faut aller supplier un ministre ou un député pour obtenir un job. Il y a environ 50 000 emplois qui ne trouvent pas preneurs. C’est pour cette raison qu’il y a autant de travailleurs bangladais, indiens, malgaches et africains à Maurice. Mais il n’y a pas que l’emploi, il y a aussi le logement. C’est impossible pour un jeune qui gagne Rs 25 000 par mois d’acheter un terrain et construire une maison. Il faut mettre en place un système qui lui permette d’acheter une maison ou un appartement selon certaines conditions ; le gouvernement offre le terrain et les promoteurs privés construisent avant de vendre selon un système de vente-location, qui n’augmente pas la dette publique.

Vous visez essentiellement les jeunes. Les plus âgés des Mauriciens ne vous intéressent-ils pas ?
— Quand nous faisons des propositions pour les jeunes, cela touche aussi leur famille, leur environnement, la société tout entière. Il faut revoir le système éducatif pour accommoder tous les types d’élèves : le “super crack”, comme le “late learner”, les forts en lettres ou en maths et les manuels. Le système doit faciliter l’éducation et l’emploi et ne pas, au contraire, installer des barrières et des freins pour empêcher les élèves de s’épanouir. Il faut aussi revoir la loi pour que les jeunes, qui ont commis une offense mineure à la loi et ont leur vie totalement bloquée avec le système du certificat de moralité. Ces jeunes sont sanctionnés à vie et il faut les laisser travailler au lieu de les laisser tomber dans la délinquance, la drogue, etc. faute de pouvoir trouver un emploi. Avec le certificat de moralité pour délit mineur, nous sommes en train de créer une lost generation, les emplois qu’ils auront pu avoir étant occupés par des travailleurs étrangers. Il faudrait réhabiliter ces jeunes qui peuvent contribuer à la productivité dont le pays a besoin au lieu de les sanctionner. Je pense que d’ici aux élections générales, une majorité de Mauriciens va réaliser que l’avenir n’est pas dans les vieilles recettes du passé, mais dans un changement fondamental. Ce que nous proposons. Les vieux partis politiques et leurs leaders sont ancrés dans le passé, le Reform Party regarde devant, vers l’avenir.
Il faut quand même rappeler que vous avez fait partie d’un de ces vieux partis qui imposent le statu quo du système…
— Quand, en tant que ministre, j’ai constaté que le gouvernement privilégiait le statu quo, j’ai démissionné et je suis sorti du système, en 2017. J’ai claqué la porte quand je me suis rendu compte que Lakwizinn était en train de s’accaparer des leviers du pouvoir, ce qui est aujourd’hui confirmé par Nando Bodha et Sherry Singh, entre autres.

Justement, que pensez-vous de Sherry Singh aujourd’hui dénonciateur du système de Lakwizinn, dont il a été un des grands chefs ?
— Avec lui ce n’est pas seulement le computer du ministre Balgobin qui explose, mais Lakwizinn qui éclate en mille morceaux. Avec ses contradictions. Un exemple simple : Pravind Jugnauth demande d’où vient le chiffre d’affaires de la société que possède Sherry Singh et son épouse, et ce dernier réplique qu’une partie vient de l’achat d’une propriété ayant appartenu à la femme et au beau-frère du Premier ministre ! Tout cela démontre ce que je dénonce depuis 2017 : l’existence d’un système mafieux au sommet de l’État. J’ai dit à Bodha que pour être crédible, il faut qu’en tant qu’ancien ministre des Affaires étrangères il explique aux Mauriciens ce qui s’est passé à Agaléga, avec le métro, le rapatriement des Mauriciens pendant le Covid, les achats d’équipements médicaux et de médicaments, etc. Quand j’ai quitté le MSM, je ne me suis pas tu. J’ai dénoncé le système de Lakwizinn dont personne n’osait parler. Pour changer le climat malsain qui règne dans le pays, il faut revenir à l’enseignement des valeurs et des principes depuis l’école primaire. Il faut faire en sorte d’expliquer aux Mauriciens, en termes simples, les clauses de la Constitution afin qu’ils sachent quels sont les droits fondamentaux des citoyens, mais aussi leurs devoirs. Je rencontre tous les jours des gens qui ne savent pas quels sont leurs droits garantis dans la Constitution, notre loi suprême. Est-ce qu’on sait ce que veut dire les Droits humains? Est-ce que la police a le droit de torturer des prévenus pour obtenir des aveux?
Ou de tabasser un collégien qui chante “Polico Crapo” dans une station de métro !
— Bon exemple. Il faut expliquer la Constitution pour que les Mauriciens — et surtout ceux qui sont censés la défendre — la respectent. Cette connaissance de la Constitution va aider à développer le mauricianisme, car quand on connaît ses droits, on ne se laisse pas maltraiter, on se bat pour les faire respecter.
Ce n’est pas un changement de système que vous proposez, mais une révolution totale que ceux qui profitent du système ne vont guère apprécier !
— Exactement. C’est pour cette raison que nous ne pouvons pas travailler avec les vieux partis politiques qui ont aidé le système à se développer et à se scléroser. Il faut que les contrats publics soient publics et transparents. Que les sommes engagées, les travaux demandés, les noms des compagnies à qui ils sont attribués soient communiqués. Ces grands travaux sont donnés aux petits copains pour services rendus, comme le financement des campagnes. C’est pourquoi les vieux partis ne veulent pas changer le système qui leur permet de satisfaire les demandes de leurs proches. Il faut qu’ils donnent des licences, des patentes, des jobs, des business et des nominations. Ils font plus de projets pour aider ceux qui les ont aidés aux élections au détriment des contribuables mauriciens qui auront à faire les frais de remboursement de la dette publique. Il faut que les Mauriciens se rendent compte qu’en soutenant ce système, qu’en refusant de le changer, ils sont en train de faire en sorte d’en être les premières victimes. Car ce sont eux et leurs enfants qui vont payer pour les décisions prises par les politiciens. La dette ne va pas s’effacer par miracle. Est-ce que le Mauricien veut continuer dans cette voie sans issue ou est-ce qu’il préfère qu’on rejette le système qui conduit le pays à sa ruine ? C’est de ça qu’il faut discuter au lieu de faire des alliances pour savoir qui sera présenté comme candidat au poste de Premier ministre et quel parti sera la locomotive d’une éventuelle alliance.
Est-ce que vous pensez sincèrement que vous allez réussir ?
— Je ne sais pas, mais je l’espère. Tout comme j’espère que les Mauriciens vont changer et remplacer le vieux système qui les étouffe et étrangle le pays et créer un nouveau mode de vie pour les vingt prochaines années. Mais une chose est certaine : si on ne change pas, on reste dans le statu quo, c’est-à-dire qu’on va “piller” en place. On me dit que si le Reform Party va seul aux élections avec moi comme Premier ministre, on va vers la mort politique. Ce n’est pas vrai. Si le Reform Party ne gagne pas, ne parvient pas à imposer l’idée qu’il faut changer de système, c’est l’île Maurice qui sera la grande perdante. Ne pas changer veut dire maintenir le statu quo avec Pravind, Navin, Paul et Xavier et Nando dans un coin. Le changement apporte le progrès, montre la voie vers une nouvelle île Maurice que nous devons construire.
oyons cyniques pour terminer. Et si malgré toutes vos propositions, le Mauricien préférait le statu quo au changement ?
— Si nous ne changeons pas cette fois-ci, le pays va tomber dans un précipice d’où il sera extrêmement difficile de remonter. Si toutefois on y arrive… Si je réussis, ce sera une mission extraordinaire que j’aurai accomplie dans ma vie. Si je ne réussis pas, au moins j’aurais essayé d’expliquer aux Mauriciens ma réflexion et celle de mes camarades du Reform Party.

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