Interview – Vinesh Sewsurn : « la disparité salariale est flagrante dans la fonction publique »

Le nouveau président de la Federation of Civil Services and Other Unions (FCSOU), le Dr Vinesh Sewsurn, soutient qu’il existe une disparité salariale flagrante au sein de la Fonction publique à la suite de l’introduction du salaire minimum. Il demande ainsi au Pay Research Bureau (PRB) de prendre des décisions administratives pour régler ce problème et il n’y a pas lieu d’attendre le rapport 2026.

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Cet habitant de l’Est, qui occupe aussi la présidence de la Medical and Health Association, fait état des faiblesses de la Fonction publique et de la nécessité d’atteindre l’autosuffisance alimentaire pour ne pas dépendre des importations. En ce qui concerne les grosses averses, il préconise un protocole national pour les travailleurs des secteurs privé et public. Aussi, pour les services essentiels, il suggère que les employés soient recrutés sur un plan régional pour qu’ils puissent se rendre sur leurs lieux du travail sains et saufs, durant et après les catastrophes naturelles.

Depuis quand êtes-vous installé à la présidence de la FCSOU ?

J’ai commencé à occuper le poste de président de la FCSOU depuis le dernier congrès annuel de la fédération, qui a eu lieu en juin 2023. Je dois dire qu’une nouvelle équipe a été formée et m’a présenté comme le prochain président de la FCSOU après Narendranath Gopee. Ma candidature a été soumise au vote et les membres de l’assemblée de délégation ont décidé de placer leur confiance en moi et dans ma nouvelle équipe. J’ai donc été élu président de la FCSOU pour une période de deux ans, comme le stipule le statut de la fédération.

Sur le plan professionnel, où est-ce que vous situez actuellement ?

Je suis d’abord un médecin généraliste et j’exerce dans une institution hospitalière de l’État. Je suis toujours le président de la Medical and Health Officers Association (MHOA). Je suis en fait un Public Officer avec plus d’une dizaine d’années de service dans la fonction publique. Cela fait maintenant plus de six ans que j’occupe le poste de président de la MHOA.

Je dois dire que ce poste m’a donné la possibilité de comprendre un peu les rouages des relations industrielles. Et avec le soutien de la FCSOU, j’ai pu maîtriser le fonctionnement de la fonction publique. Cette collaboration m’a, en quelque sorte, aidé à œuvrer en faveur de la dignité des fonctionnaires.

Est-ce que le problème de Shift System a été finalement résolu pour les médecins de l’État ?

Lorsque le gouvernement est venu avec l’idée d’introduire le Shift System dans la santé publique, nous y étions opposés. Le ministère de la Santé n’avait qu’un seul but en tête : diminuer les coûts en diminuant les heures supplémentaires. Depuis que le Shift System a été introduit, voilà maintenant six ans, je ne vois pas que les heures supplémentaires ont diminué. Nous avons plutôt remarqué qu’il y a eu des problèmes qui ont surgi. Nous avons déjà évoqué ce problème et même le Pay Research Bureau n’a pas pris en considération notre demande dans son dernier rapport.

Maintenant, notre combat vise à enlever cette appellation à notre métier de médecin. Avec le PRB, un médecin est qualifié de Shift Worker alors nous avons effectué de longues années d’études et que nous détenons des diplômes. Nous sommes les seuls professionnels dans ce secteur qui sont qualifiés de Shift Workers. À ce jour, le Brain-Drain dans le secteur de la santé publique continue et la situation est devenue maintenant plus compliquée. Auparavant, le personnel de santé cherchait de l’emploi à l’étranger uniquement ; maintenant, le Brain Drain a lieu au pays également, suivant l’ouverture de nombreuses cliniques privées et l’intention du gouvernement de transformer le pays en un Medical Hub. Le personnel de santé du secteur public est maintenant tenté de faire carrière dans le secteur privé.

Je vous informe que beaucoup de médecins spécialistes, y compris des infirmiers, sont en train de quitter la Fonction publique pour aller travailler dans des institutions privées où les conditions de service sont plus favorables à leur avancement personnel et professionnel.

Pensez-vous donc qu’il faut importer davantage de main-d’œuvre étrangère dans le pays ?

Je ne crois pas que l’importation accrue de la main-d’œuvre étrangère dans le secteur soit une bonne chose. Ce qu’il faudrait faire, c’est stopper cette hémorragie. Le gouvernement doit trouver la solution à travers des mesures incitatives pour les professionnels de santé publique. Ce faisant, nous arriverons à retenir leur expertise pour la bonne marche de la santé publique.

Je dois dire que le passage du Covid-19 n’a pas été de tout repos pour nous en tant que médecins. C’était d’abord une nouveauté et nous faisions face à une pandémie. Le coronavirus de Wu Yan et le Covid-19, c’était quelque chose de nouveau pour le monde. Il y a  eu des mesures drastiques qui ont été appliquées dans le monde entier. Mes collègues ainsi que tous ceux  travaillant avec les patients avaient des appréhensions.

En tant que syndicaliste, même s’il y avait beaucoup de problèmes au niveau de l’approvisionnement en matière d’équipements de protection, nous avons pris l’initiative de régler les choses au niveau du ministère de la Santé, sans songer à créer une panique dans la population qui souffrait durant la période de confinement. S’il fallait agir autrement, la population aurait été prise de panique et cela aurait contribué à une mauvaise gestion de la pandémie.

Quel regard portez-vous sur les relations industrielles qui existent dans le pays en tant que nouveau président de la FCSOU ?

Il faut savoir que les syndicats et les fédérations syndicales participent au bon fonctionnement de n’importe quelle organisation. Toutes les parties prenantes d’une compagnie distincte, notamment l’employeur, les employés et les formations syndicales, doivent avancer ensemble pour le bon fonctionnement des opérations. Ce sont des maillons extrêmement importants pour garantir la marche d’une entreprise, que ce soit pour le secteur gouvernemental ou pour le secteur privé.

Ces derniers temps, nous avons constaté que les employeurs considèrent les formations syndicales comme un obstacle quelque part, alors que ce n’est pas du tout le cas. Les Workers Organisations existent pour que l’homme soit placé au centre de tout développement et des débats. Les syndicats sont là pour rappeler aux employeurs que les employés ne sont pas des commodités. Ils sont là pour travailler, bien sûr, et en même temps transmettre les aspirations des salariés aux employeurs.

Qu’est-ce que les employés cherchent en fait ? Ils sont à la recherche tout simplement des conditions de travail décentes qui vont les encourager à faire prospérer l’entreprise pour laquelle ils travaillent. Nous avons constaté que le problème réside plutôt du côté des employeurs qui, très souvent, ferment la porte à toute discussion et ils prennent des décisions Behind Closed Doors sans prendre en considération les aspirations des employés et des syndicats. Lorsqu’il y a ce genre de Deadlock, des litiges émergent. Les employées à ce moment-là ne peuvent plus travailler sereinement et cela joue sur leurs performances. Ils ont ainsi un autre état d’âme et ce stress a tendance à se répercuter sur leur vie familiale.

Le fait que Maurice ait ratifié les conventions 87 et 98 de l’Organisation internationale du travail (OIT), il est du devoir de l’État, en tant qu’employeur, de promouvoir de bonnes relations industrielles au travail à travers des pratiques qui sont déjà établies, notamment le Central Whitley Committee et le Departmental Whitley Committee. Nous, au niveau de la fédération, nous avons noté que le Departmental Whitley Committee a disparu totalement. Il incombe maintenant au gouvernement d’honorer son engagement auprès de l’OIT lorsqu’il a ratifié ces deux conventions.

Très souvent, nous constatons que les fonctionnaires partent chez eux lorsqu’il y a de grosses averses alors que ce n’est pas le cas pour les employés du secteur privé. Quel regard portez-vous sur cette façon de procéder ?

En ce qui me concerne, je travaille dans le domaine de la santé publique qui fait partie des services essentiels. J’ai choisi d’être médecin pour sauver des vies humaines et guérir les gens. Le personnel de santé ne peut pas manquer à ses responsabilités lorsqu’il y a des cas de force majeure et d’autres problèmes graves dans le pays. Nous jouons le jeu et nous exerçons dans l’intérêt de la population.

Il y a quand même des problèmes qui surgissent lorsqu’il y a des inondations. Les membres du personnel de santé ont des difficultés pour accéder à leur travail lorsque ce genre de problème voit le jour et la même chose se produit lorsqu’ils veulent rentrer chez eux après le travail. Ce problème doit être réglé au niveau du ministère de la Santé. Le plus gros problème concerne plutôt les hôpitaux régionaux et les dispensaires. Lorsqu’ils sont appelés à fonctionner, il faut s’assurer que la majeure partie de leurs personnels se trouve dans la région où ils opèrent. Cela éviterait de longs parcours, minés parfois par des routes impraticables. Il faut faire en sorte que le personnel de santé qui opère sur le plan régional habite dans la région. À ce moment-là, ils n’auront pas à s’inquiéter de l’état de la route et de quelles conditions ils seront appelés à voyager.

Je pense que les autorités doivent songer sérieusement à appliquer un processus de la territorialisation pour que les travailleurs soient sains et saufs lorsqu’ils doivent se rendre sur leurs lieux de travail ou au retour.

Les syndicats veulent un protocole national pour les travailleurs des secteurs public et privé pour les grosses averses. Êtes-vous favorable à cette idée ?

À chaque fois, on semble faire la distinction entre les travailleurs du secteur privé et ceux du public. Il faut savoir cependant que le gouvernement agit en tant qu’employeur et décide pour les fonctionnaires et les corps para-étatiques ainsi que d’autres organismes. La National Emergency Operations Command (NEOC) est présidée par les représentants du gouvernement. La présidence est ainsi occupée par un homme du gouvernement et les décisions prises par la NEOC sont des décisions gouvernementales qui concernent toute l’île Maurice.

Donc, lorsque la NEOC émet une circulaire pour donner des directives appropriées pour toute l’île Maurice, tout comme le comité qui avait été constitué pour faire face au Covid-19, l’État en tant qu’employeur pour les fonctionnaires, n’a pas ce pouvoir de donner des directives au secteur privé. C’est un gros manquement ! Il n’y a, en fait, aucune institution à Maurice qui est concernée par l’ensemble des travailleurs du secteur privé. Ce qui fait que chaque employeur du secteur privé prend sa propre décision.

La question que les travailleurs se posent est de savoir pourquoi les fonctionnaires ont un traitement différent. La question doit plutôt être posée à la NEOC. Pourquoi la NEOC n’est pas en mesure de prendre une décision de portée nationale ?

Que pensez-vous de la suspension du directeur général de la météo ?

Nous, au sein de la fédération, nous avons toujours considéré qu’il ne faut pas prendre les fonctionnaires comme des boucs émissaires. C’est un bureau qui a pris les décisions appropriées. En sus de cela, il y a une affaire en justice sur cette affaire et je n’ai pas l’intention de faire des déclarations ici et là.

Il faut comprendre cependant qu’il y a plusieurs représentants qui siègent sue le comité de la NEOC, y compris un représentant de la météo. Mais c’est le board qui prend les décisions finales. Si on prend en considération tous les communiqués qui avaient été émis, il y a eu la mention qu’il y aura de grosses pluies et des inondations. Laissons les instances de justice se pencher sur la question !

Pendant trop longtemps les fonctionnaires ont été pris pour cibles car ce sont eux qui, parfois, sont appelés à signer des documents et des papiers. C’est pourquoi il faut protéger les fonctionnaires des abus et des directives. C’est pourquoi aussi la fédération continue à mettre de la pression pour que le gouvernement vienne avec un Public Service Bill qui va tirer une ligne de démarcation entre les responsabilités des fonctionnaires et les ordres des ministres. Ce projet de loi vise surtout à protéger les fonctionnaires contre les abus politiques de la part des politiciens.

Quel regard portez-vous sur la décision du gouvernement d’accorder une pension de Rs 13 500 à ceux qui ont eu 75 ans ?

C’est d’abord une décision purement politique. Je dois attirer l’attention sur le fait que lorsque le Premier ministre a fait cette annonce, il n’a pas donné les raisons qui expliquent ce choix. Il n’y a pas eu non plus un officiel du gouvernement qui est venu dire pourquoi il a ciblé tout simplement ceux qui sont âgés de 75 ans.

Si nous nous basons sur sa promesse électorale de 2019, il est clair que lorsqu’il avait fait l’annonce d’une pension à 13 500, il faisait référence à tous les pensionnés et il n’avait pas évoqué la question du ciblage à l’époque. Il faut faire ressortir que la Basic Retirement Pension est un droit universel et c’est pourquoi on ne peut pas faire un ciblage sur un droit universel.

On parle souvent de la transformation de la fonction publique. Est-ce que vous sentez cette transformation au niveau de la fédération ?

Le ministre de la Fonction publique a récemment fait une déclaration pour dire qu’il y a beaucoup de projets dans ce sens à l’horizon. Mais jusqu’ici, il n’en a rien été. En fait, la fonction publique a beaucoup de faiblesses. Les fonctionnaires subissent beaucoup de pressions verbales et des représailles s’ils ne suivent pas les instructions.

L’autre faiblesse que nous constatons, c’est la difficulté des syndicats de la fonction publique à avoir accès au Management pour discuter des problèmes urgents et des problèmes auxquels font face les employés. Il n’y a pas aussi un développement professionnel régulier. Le Collège des fonctionnaires était supposé être un outil pour transformer la fonction publique pour qu’elle devienne plus efficiente. Mais jusqu’ici, les résultats ne sont pas convaincants.

Nus notons aussi que les perspectives de promotion pour certaines catégories de fonctionnaires sont quasiment nulles. Les grades sont figés. Ce n’est pas dynamique. C’est cette stagnation qui fait que la fonction publique est ce qu’elle est actuellement. Depuis l’instauration du salaire minimum, une disparité salariale a vu le jour dans la fonction publique.

À ce jour, nous constatons que le salaire minimum augmente de Rs 3 425 et c’est ce qui provoque la disparité entre un General Worker et certains officiels qui ont plusieurs années d’expérience. Le salaire minimal est passé de Rs 11 075 à Rs 15 000. Le salaire de base d’un General Worker démarre à Rs 10 800 selon le rapport du PRB. C’est cette disparité qui n’a pas encore été corrigée, car ils sont toujours guidés par le PRB. Ce qui fait que si la fonction publique recrute un General Worker actuellement, il touchera Rs 10 800, et non pas Rs 15 000, car la grille salariale n’a pas été corrigée. Le PRB a la prérogative de corriger cette disparité maintenant, sans pour autant attendre son rapport de 2026 pour le faire.

Cette disparité est donc flagrante, car c’est une décision qui a été prise entre deux rapports du PRB. C’est pour cette raison que la fédération avait réclamé une rencontre avec les officiels du gouvernement pour savoir ce qu’ils proposent pour régler cette disparité. À la suite d’une rencontre avec un haut cadre du ministère de la Fonction publique et la direction du PRB, nous avons été informés qu’il y aura une révision salariale qui interviendra sous peu. Un rapport est en tout cas attendu dans ce sens le mois prochain.

Nous avons aussi attiré l’attention sur le fonctionnement du PRB. Dans le cadre de la préparation de son prochain rapport, cette institution a déjà commencé à rencontrer les syndicats pour des consultations. Nous considérons que l’étape la plus importante a été brûlée. Il fallait d’abord que le PRB rencontre les dirigeants des fédérations syndicales avant de démarrer les consultations avec les syndicats. Cela n’a pas été fait.

Si le PRB avait convoqué les dirigeants des fédérations syndicales, cela lui aurait permis de parler de la situation économique du pays. Et voilà maintenant la marge de manœuvre du PRB ! Cela aurait permis de savoir si le prochain rapport accordera une attention particulière aux conditions de travail ou aux révisions salariales. De fait, le PRB a omis de faire savoir sur quoi le prochain rapport va s’appesantir. Cette étape a été brûlée.

Au fait, nous avions réclamé une rencontre avec le secrétaire au Cabinet pour des échanges préliminaires avec la direction du PRB afin de connaître les Terms of Reference de son prochain rapport. Nous avons obtenu cette rencontre avec le secrétaire au Cabinet en décembre dernier et il était question que la direction du PRB convoque la fédération pour discuter des Terms of Reference en janvier de cette année. Nous avons déjà adressé une lettre à la direction du PRB dans ce sens, mais jusqu’ici, notre demande est restée lettre morte. En tout cas, cette disparité salariale est en train de créer une frustration chez les fonctionnaires qui touchent le Basic Wage et ceux qui se trouvent au milieu du Master Salary Scale. Ces derniers ont deux problèmes : la reconnaissance de l’ancienneté et leur salaire. Leur ancienneté ne se reflète pas dans leur salaire en raison de cette disparité qui s’est accentuée à partir de janvier dernier.

Il faut savoir que le National Wage Consultative Council a déjà donné le pouvoir au PRB de faire des ajustements administratifs. Le PRB a donc le devoir de réagir et de ne pas laisser perdurer une telle situation. Lors de notre dernière rencontre avec le secrétaire au Cabinet, Premode Neerunjun, nous avons expliqué comment on peut faire cet ajustement sans pour autant déranger la relativité salariale. Les petites retouches peuvent se faire dans le prochain rapport. Pour le moment, on peut prendre des décisions administratives pour répercuter la somme de Rs 3 425 dans la grille salariale.

La FCSOU est aussi préoccupée par les appréhensions de ses membres à propos de la hausse du coût de la vie. Que pensez-vous de la situation actuelle ?

Lor pe vinn pli bon marse ki pom damour (rires). Plus sérieusement, je crois que nous avons un problème au sujet de notre sécurité alimentaire. L’État doit prendre les taureaux par les cornes pour ne pas dépendre de l’importation de produits alimentaires. Il y a beaucoup de terres fertiles à Maurice et les perspectives pour lancer des cultures hors-sol sont immenses. Il y a certes le problème du changement climatique qui nous affecte. Au lieu de mettre l’accent sur ces problèmes, on voit que l’État se concentre sur la construction de bâtiments. Notre superficie de terres fertiles diminue de plus en plus. Il faut mettre l’accent sur la culture vivrière pour aider à amortir le coût du fret et la pénurie de certains produits alimentaires en raison du retard des bateaux.

Pour relancer la plantation de légumes, il faut d’abord inviter les jeunes à s’intéresser à la plantation. Il faut leur faire comprendre qu’il y a un avenir dans ce domaine, outre le travail en col blanc.

Propos recueillis par Jean-Denis Permal

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