Sandeep Sewpal (architecte) : « 95% des bâtiments pas conçus par des architectes »

« 95% des bâtiments à Maurice n’ont pas été conçus par des architectes. Par conséquent, toutes les considérations architecturales et environnementales qui devraient être prises en compte lors de la conception d’une construction ont peut-être été négligées ». Telle est l’observation faite par le vice-président du Professional Architects’ Council, Sandeep Sewpal, dans le sillage du cyclone tropical Belal.
Ce qui l’induit à dire que l’implication d’un architecte dans la planification, la conception et la construction d’une ville ou d’une communauté devrait devenir une norme à Maurice et non une option. L’architecte étrille le système bureaucratique du pays qui n’est, dit-il, que « le reflet de notre système éducatif bureaucratique. Nous devrions réduire les obstacles bureaucratiques une fois pour toutes dans ce pays ».

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Le cyclone tropical Belal est venu nous montrer à quel point le pays est loin d’être prêt à faire face aux Flash Floods. Alors que d’aucuns pointent le changement climatique et ses effets extrêmes, d’autres étrillent une négligence totale, d’autant que l’épisode de 2013 aurait dû inciter à tout faire pour limiter les débordements. Cette catastrophe aurait-elle pu être évitée ou n’y pouvait-on rien contre les effets du changement climatique ?

Cette catastrophe aurait pu être évitée si nous avions conçu et mis en œuvre des politiques à long terme depuis 2013 pour protéger les services écosystémiques (ndlR : les bénéfices offerts aux sociétés humaines par les écosystèmes) et les biens publics sensibles au climat (approvisionnement en eau, protection des côtes, coopération politique régionale, etc.) ; si nous avions intégré les préoccupations d’adaptation dans les politiques nationales de développement et les plans d’investissement public et si nous avions utilisé les informations appropriées sur le changement climatique et ses implications sur les secteurs clés.

En 2010, le Bureau des politiques de développement du PNUD a partagé son expérience, montrant qu’il est contre-productif de créer des institutions autonomes (telles que le National Disaster Risk Reduction and Management Centre) chargées de la responsabilité de la gestion des risques liés au changement climatique.
Le changement climatique ne peut relever de la seule responsabilité d’une seule institution ou pratique professionnelle. Il est plutôt important de renforcer les systèmes de gouvernance existants, y compris ceux au niveau régional qui peuvent promouvoir une adaptation efficace ascendante.
Les ministères compétents responsables de la gestion des biens publics, de la production alimentaire et de la gestion de l’eau doivent être pleinement responsables de la maximisation de l’efficacité des biens et services publics, tout en minimisant le fardeau budgétaire dû aux pertes climatiques.
Dans les décennies à venir, la nature omniprésente du changement climatique nécessitera un changement de comportement, l’intégration de l’adaptation dans le développement et l’intégration des processus de prise de décision en matière d’investissement à tous les niveaux de la société.
Maurice aurait dû tirer les leçons non seulement de la catastrophe de 2013, mais apprendre de l’expérience du PNUD.

Après 2013, pourquoi d’après vous n’avons-nous pas pu prendre les mesures qui s’imposaient à Port-Louis, précisément ?

Incompétence ou attitude insouciante ? Ou peut-être à cause des obstacles bureaucratiques ! Ou peut-être en raison de la réticence du pays à investir dans des programmes de recherche et de développement pour élaborer des politiques et des boîtes à outils permettant de mener des analyses de la probabilité des implications biophysiques et socio-économiques associées aux risques cycloniques à long terme, de préparer des stratégies et des plans de développement prenant en compte des risques de cyclone et développer des partenariats, des outils et des pratiques pour intégrer la résilience climatique dans les processus de prise de décision d’investissement.
Je ne suis pas en mesure de donner une réponse claire à cette question.

Que préconisez-vous à présent pour éviter un autre épisode similaire ?

Des mesures pragmatiques peuvent être prises pour comprendre le problème : examiner la littérature existante sur les effets des cyclones tropicaux sur les secteurs et régions clés du pays ; identifier les principales conclusions qui peuvent servir de point de départ à des discussions avec les principales parties prenantes ; organiser et mener une série de consultations avec les parties prenantes pour articuler et valider le problème ; consulter les experts professionnels du pays ; impliquez des professionnels indépendants locaux ; analyser de manière rigoureuse la problématique liée au cyclone ; enfin, identifier et évaluer la vulnérabilité actuelle et les risques actuels.
Les scénarios de cyclones doivent ensuite être utilisés conjointement avec d’autres informations pour examiner la manière dont la vulnérabilité et les risques sont susceptibles d’évoluer dans le temps et dans l’espace.
Examiner la capacité d’adaptation actuelle d’un système et déterminer ses faiblesses dans le contexte de risques et d’opportunités émergents dans une gamme de scénarios de changement climatique.

Qu’en est-il pour les autres régions de l’île ?

Il est clair que d’autres régions de Maurice pourraient être touchées. L’île Maurice a toujours connu des cyclones depuis sa première colonisation par les Hollandais. Ce n’est pas la première fois que nous sommes confrontés à un cyclone dans notre Histoire.
Cependant, depuis l’indépendance en 1968, aucun gouvernement n’avait pensé à créer des institutions chargées de mener des recherches visant à développer des initiatives en vue de planifier et concevoir des communautés ou des villes plus résilientes ou à protéger les lieux existants.

Que retenez-vous de ces dernières inondations ?

Cela me rappelle les effets de l’ouragan Katrina sur la ville de la Nouvelle-Orléans, aux États-Unis, en 2005, qui a provoqué des pannes de communication, des dommages aux routes et aux bâtiments, des ruptures de murs anti-inondation et des pertes de vie humaine.
Cette tempête a causé plus de $160 milliards de dégâts et la population de la Nouvelle-Orléans a chuté de 29 % entre l’automne 2005 et 2011. Bien que de nombreux habitants soient revenus et que la population de la ville soit passée à environ 400 000 habitants en 2020, elle est restée environ 20 % en dessous de sa population en 2000.
Une décennie après la tempête, le Corps des ingénieurs de l’armée américaine a reconnu des défauts dans la construction de la digue et du système de protection contre les inondations de la ville. Dans certaines parties de la ville, les Flood Walls et les digues n’étaient pas assez hautes pour retenir l’eau ; dans d’autres, les vannes ne se sont pas fermées correctement et certaines structures se sont entièrement effondrées.
Pour compliquer les choses, de nombreuses parties de la région de la Nouvelle-Orléans vulnérables aux inondations n’étaient pas officiellement répertoriées comme zones inondables par l’Agence fédérale de gestion des urgences (FEMA), de sorte que les propriétaires n’étaient pas informés de leur situation difficile et n’avaient pas d’assurance contre les inondations ; les deux facteurs ont contribué à un total de dégâts plus élevé.
Il est probable qu’on ait vécu le même scénario à Maurice récemment ! 95% des bâtiments à Maurice n’ont pas été conçus par des architectes. Par conséquent, toutes les considérations architecturales et environnementales qui devraient être prises en compte lors de la conception d’une construction ont peut-être été négligées.
L’apport d’un architecte dans la conception et la planification des bâtiments et des villes est encore considéré comme superflu dans les pays en développement comme Maurice. L’implication d’un architecte dans la planification, la conception et la construction d’une ville ou d’une communauté devrait devenir une norme à Maurice et non une option.

Le dernier mot ?

Notre système éducatif encourage les jeunes à apprendre par cœur et non à penser de manière créative ! La bureaucratie du pays n’est que le reflet de notre système éducatif bureaucratique. Nous devrions réduire les obstacles bureaucratiques une fois pour toutes dans ce pays.

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