Le père Philippe Goupille : « Beaucoup de personnes en situation de souffrance »

Le père Philippe Goupille a été reconduit la semaine dernière à la présidence du Conseil des religions. Dans une rencontre avec Le-Mauricien, il évoque la naissance de sa vocation au service de l’interreligieux. « J’ai appris à découvrir la richesse des autres religions et à dialoguer avec elles. Pour moi, cette vocation a continué au sein du Conseil des Religions et, d’une certaine manière, le soutien quasi unanime des autres membres du Conseil est comme une vérification pour moi que cet appel n’est pas un rêve provenant de mon imaginaire », explique-t-il.

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Philippe Goupille constate que de nombreuses personnes se trouvent dans une situation où elles sont affectées par la souffrance. Il invite, finalement, à la vigilance face au repli identitaire — qui est souvent exacerbé durant les campagnes électorales en vue des législatives.

Vous avez été reconduit à la présidence du Conseil des Religions la semaine dernière. Est-ce un signe de reconnaissance pour le travail abattu au sein de cette organisation ?
Je considère que mon engagement au service du Conseil des Religions est une vraie vocation. J’ai eu l’occasion il y a quelque temps de partager dans Le-Mauricien comment je suis devenu prêtre catholique après avoir été lauréat en 1960.

Une vocation pour moi, c’est un appel intérieur, une sorte d’invitation discrète à suivre un chemin dans la vie. Mais cet appel intérieur doit forcément être vérifié par les formateurs responsables d’accompagner le futur prêtre au séminaire.

J’ai exercé mon ministère de prêtre au sein du diocèse de Port-Louis. Durant les 30 premières années j’ai investi toute mon énergie dans le service du diocèse. Pendant tout ce temps, je ne pense pas que je ne sois jamais entré ni dans une mosquée ni dans un temple hindou ou tamoul.

C’est l’ex-président Cassam Uteem qui m’appelle en 1995 à collaborer avec lui en lançant un Comité des Sages auprès de la Présidence pour l’aider à écouter battre le cœur du pays, c’est-à-dire les problèmes des familles, des jeunes, des pauvres.

Je pense que c’est à ce moment-là qu’est née ma « vocation » au service de l’interreligieux. En travaillant avec le président Uteem et les autres membres du comité, j’ai appris à découvrir la richesse des autres religions et à dialoguer avec elles. Pour moi, cette « vocation » a continué au sein du Conseil des Religions et, d’une certaine manière, le soutien quasi unanime des autres membres du Conseil est comme une vérification pour moi que cet appel n’est pas un rêve provenant de mon imaginaire. Voilà comment j’accueille ma réélection à la présidence du conseil.

Comment se porte le conseil après sa fondation en 2001?
Le conseil s’est beaucoup développé et nous comptons actuellement 15 membres représentant les principaux courants religieux du pays siégeant sur le comité de direction. Je dois dire qu’il existe au sein du conseil un grand respect mutuel et une écoute attentive des uns et des autres.

À aucun moment nous n’imposons aux autres notre propre vérité religieuse, même si sur certains points nous pouvons avoir des opinions bien différentes ; par exemple, sur le problème de la relation entre la religion et la politique. Nous pouvons imaginer la métaphore suivante : nous sommes en train de grimper une montagne, chacun de nous a son sentier propre, mais nous avons l’espérance que nous nous retrouverons tous ensemble au sommet de la montagne. C’est ce fait de marcher ensemble dans le respect mutuel qui nous permet de grandir et de mieux accomplir notre mission dans la construction de l’harmonie sociale.

Est-ce que sa voix est entendue par tous ?
Nous sommes bien conscients que nous ne communiquons pas assez au niveau de l’opinion publique, dans les réseaux sociaux, et autres moyens de communication. Nous constatons un déficit de communication et une de nos priorités est de lancer des petites cellules du conseil dans les régions, dans les quartiers, à la ville, à la campagne, afin que ce travail de dialogue interreligieux se fasse vraiment à la base et non pas simplement au niveau un peu élitiste du Conseil. Pour cela nous avons besoin de davantage de moyens pour être présents sur le terrain. Je salue les deux premières expériences que nous avons commencées à Flic-en-Flac avec Harry Ragoo et à Phoenix avec Mme Sayed-Hossen Gooljar. Il nous faut multiplier ces initiatives.

Faisons un bref bilan des principales réalisations au fil des années ?
Nous sommes souvent appelés comme des « pompiers » pour éteindre le feu quand il y a des conflits dans certaines parties du pays. Nous offrons notre médiation et quelquefois nous avons pu contribuer à éteindre le feu.

Mais il ne suffit pas d’être « pompier », il faut empêcher le feu de se développer. C’est pourquoi nous avons initié un cours en  Peace & Interfaith Studies à l’Université de Maurice au sein de la Faculté de Sociologie. Ce cours aboutit à un diplôme et nous espérons bientôt à une licence.

Notre rêve, c’est que les professeurs d’écoles primaires et secondaires, les fonctionnaires qui sont au service du public, les religieux, les membres du secteur privé, bénéficient de ces cours et soient ainsi équipés pour faciliter le dialogue dans les bureaux, les entreprises et au service du public. Par exemple, si je suis un infirmier ou une infirmière à l’hôpital et je suis en train d’accompagner un malade qui va mourir, je le ferai mieux encore si j’étais au courant de ses convictions religieuses sur le sens à donner à la souffrance ou encore sur l’espérance de la vie après la mort.

Dans les écoles aussi nous avons commencé à proposer une formation à l’interreligieux aux jeunes. Nous sommes en dialogue avec la Fondation pour les Rencontres Interculturelles qui est pilotée par le Dr Issa Asgarally sous la présidence de Jean-Marie Le Clézio, prix Nobel de littérature 2008. L’interculturel et l’interreligieux sont des domaines qui sont souvent liés dans la vie des personnes.

Nous constatons que dans les programmes scolaires actuellement les élèves peuvent choisir des sujets comme l’hindi, le tamil, l’arabe, etc., qui sont liés à des religions. Mais à notre avis cela ne suffit pas. Il faut favoriser par un programme scolaire spécial la rencontre entre les cultures et les religions.

Nous sommes aussi en lien étroit avec Religions for Peace international et surtout son antenne africaine qui se trouve à Nairobi. Dans presque tous les pays africains, il y a maintenant des groupes interreligieux qui travaillent pour la paix sociale. Nous sommes soutenus dans nos efforts par le continent africain et au niveau international. Nous bénéficions beaucoup de leur recherche et de leur expérience.

Quels sont, selon le conseil, les principaux défis auxquels est confronté le pays aujourd’hui ?

À la fin de l’année dernière nous avons eu une réflexion sur, notamment, les principaux défis qui menacent notre société. Premier défi : La souffrance. Nous avons noté que beaucoup de personnes se trouvent dans une situation où elles sont affectées par la souffrance. C’est étonnant de voir que même les jeunes à l’Université se trouvent souvent en situation de souffrance. Cette souffrance nous déshumanise et parfois nous radicalise. Nous notons qu’il n’y a pas suffisamment d’espaces de rencontres qui pourraient aider les personnes en souffrance à « vider leur sac », à partager leur mal-être.

Deuxième défi : Nous vivons dans un monde virtuel où les réseaux sociaux et la connectivité ont créé une nouvelle façon d’interagir. Mais ce monde virtuel est souvent superficiel et ne permet pas une véritable écoute des personnes en difficulté. D’autant plus que nous sommes exposés à des Fake News qui parfois peuvent avoir un effet très négatif sur nos relations humaines.

Troisième défi : Nous notons au niveau des familles qui sont gagnées par la course à la consommation et au matérialisme un manque d’écoute de nos enfants parce que nous n’avons plus le temps d’être gratuitement avec eux puisqu’il nous faut travailler toujours plus pour gagner toujours plus.

Quatrième défi : Il est angoissant de voir le nombre de jeunes et d’adultes qui sont prisonniers de la drogue. Malgré tous les efforts des autorités pour éradiquer ce mal, il ne semble pas que nous ayons beaucoup progressé. N’est-ce pas un signe justement que la drogue est une échappatoire de cette souffrance diffuse que nous avons notée, et aussi parce qu’il y a un manque d’espérance pour beaucoup ? Il y a bien d’autres défis encore qu’il serait trop long à énumérer.

Avez-vous l’impression que ces dernières années le repli identitaire met à l’épreuve l’esprit de tolérance qui a toujours prévalu à Maurice ?

Le repli identitaire ne date pas d’aujourd’hui. Il y a plus de 50 ans déjà que le père Henri Souchon, un des apôtres de la mauricianité, avait fait remarquer que nous, les Mauriciens, nous vivons dans une paix négative, c’est-à-dire une tolérance quelque peu superficielle où les conflits sont mis sous le tapis. Mais à chaque fois que nous traversons une crise, fut-elle au niveau économique ou au niveau de la santé ou au niveau politique, nous retombons dans un repli identitaire que nous n’avons pas vraiment réussi à exorciser.
Je suis d’accord avec vous qu’avec la campagne électorale en vue des prochaines élections ce repli risque de s’exacerber. Nous devons tous être très vigilants.

Vous êtes intervenu dans le cadre du colloque consacré à l’interculturalité : quel message avez-vous transmis ?

Je suis surtout admiratif de la qualité des échanges que nous avons eus sous la présidence de Jean-Marie Le Clézio et avec la participation de différents experts des États-Unis, de la France, de l’Université de la Réunion, de l’Université de Maurice, et même de l’Université de Nanjing en Chine.

J’ai été très frappé par la conférence du Professeur Keith Moser de l’Université du Mississipi, qui a proposé des outils interculturels afin de combattre l’épidémie meurtrière du Fake News.

Il faut aussi retenir l’intervention lumineuse de Jean-Marie Le Clézio sur le rôle de l’écrivain dans la société d’aujourd’hui. Nous avions oublié l’importance du livre pour rapprocher les cultures et déconstruire les mentalités d’exploitation de l’homme par l’homme.

Répondant à la question « à quoi sert un écrivain ? », Le Clézio nous a rappelé la part importante que les auteurs de livres et d’articles ont dans la construction d’une nouvelle société. Plus que jamais il est important de sensibiliser les jeunes sur la redécouverte de la lecture. Mais il faut reconnaitre qu’il y a plusieurs initiatives intéressantes pour favoriser le livre ici et ailleurs.

Personnellement j’ai été très encouragé par l’accueil très favorable des participants à ce colloque sur le travail du Conseil des Religions à Maurice.

Avez-vous un message à la population à l’occasion de la fête de Pâques ce dimanche et pour Eid au début du mois prochain ?

Il est intéressant de voir tant de nos compatriotes hindous, musulmans et chrétiens vivre avec ferveur ces différents temps de carême qui se déroulent à peu près au même moment. J’ai la conviction que plus on se rapproche de Dieu dans la sincérité à travers les différents chemins de nos religions respectives, plus nous arriverons à mieux nous connaître, mieux nous entendre et à bâtir ensemble une société plus juste et plus fraternelle.

« Nous sommes souvent appelés comme des « pompiers » pour éteindre le feu quand il y a des conflits dans certaines parties du pays. Nous offrons notre médiation et quelquefois nous avons pu contribuer à éteindre le feu. Mais il ne suffit pas d’être « pompier », il faut empêcher le feu de se développer ».

« L’interculturel et l’interreligieux sont des domaines qui sont souvent liés dans la vie des personnes. Nous constatons que dans les programmes scolaires actuellement les élèves peuvent choisir des sujets comme l’hindi, le tamil, l’arabe, etc., qui sont liés à des religions. Mais à notre avis cela ne suffit pas. Il faut favoriser par un programme scolaire spécial la rencontre entre les cultures et les religions ».

« Nous avons noté que beaucoup de personnes se trouvent dans une situation où elles sont affectées par la souffrance. C’est étonnant de voir que même les jeunes à l’Université se trouvent souvent en situation de souffrance. Cette souffrance nous déshumanise et parfois nous radicalise ».

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