Docteur Danielle Palmyre, Théologienne : « Les religions ont participé à l’oppression de la femme »

Notre invitée de ce dimanche est la théologienne catholique Danielle Palmyre. Dans l’interview qu’elle nous a accordée à la veille de la Journée de la Femme, elle situe la place des religions dans l’oppression des femmes. Dans le deuxième volet de l’interview, elle revient sur son parcours et les raisons qui l’ont incitée à prendre sa retraite « tranquillement ».

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Nous sommes autour du 8 mars, Journée internationale de la Femme. On s’interroge sur les avancées et les reculs de la cause, sur les obstacles, mais très peu – pour ne pas dire pas du tout – sur le rôle de la religion dans l’oppression de la femme. Pourquoi ?
– Depuis des siècles, des femmes s’interrogent sur leur place dans la société et ses institutions, y compris sur la place que les religions leur « accordent ». Elles s’interrogent sur cette oppression et la place mineure, pour ne pas dire subalterne, qu’on leur a assigné depuis la nuit des temps. À part quelques rares exceptions, les hommes se sont toujours imposés pour différentes raisons, pour dominer, et les femmes, de plus en plus asservies, n’ont pas eu les moyens pour réagir.

Comment expliquer que la femme, majoritaire en nombre, ait accepté cette domination totale ?
– C’est facile de dire à l’opprimé de se révolter ! Cela demande une prise de conscience, une mobilisation des ressources pour mener un combat, pour amener un changement dans la société. Il y a eu de petites organisations, ici et là, jusqu’au combat des suffragettes, qui mènera au droit de vote, la première victoire communautaire des femmes, dans le contexte de la démocratie, mais aussi de l’industrialisation qui permettra aux femmes de travailler. L’accès à l’éducation aux femmes leur permettra de commencer à réfléchir à toutes ces questions d’égalité.

Il y a eu les avancées que vous avez soulignées au niveau de la société…
– Quand on analyse ce fameux progrès dont on parle, on voit que les avancées sont au compte-gouttes. Par exemple, le nombre de femmes en position de décision dans les entreprises n’est qu’une poignée, que l’on médiatise beaucoup. Mais ce n’est qu’une minorité qui accède à ce statut. Il y a eu avancée dans la prise de conscience, dans la lutte, mais est-ce que cela se traduit réellement dans le concret ? Il faut une prise de conscience parce qu’on ne peut pas lutter contre une oppression si on n’est pas conscient de la subir. C’est un état d’esprit qui fait qu’on accepte, qu’on intériorise l’état d’oppression que l’on subit.

Ce qui est fascinant dans tout cela, c’est que la femme participe à son oppression, la consolide même, puisqu’elle transmet ses valeurs à ses enfants…
– On l’a vu chez les esclaves, l’opprimé participant à consolider l’oppression qu’il subit. À partir d’un certain moment, il se définit lui-même comme un opprimé, accepte la position qu’on lui a attribuée, dans un réflexe de survie. Quand on n’a pas d’autre issue que de passer par l’acceptation de son état pour survivre, à partir d’un certain moment, on se dit qu’il faut accepter et vivre avec, comme si cela est normal, comme le répètent ceux qui dominent. C’est vrai que pour la majorité des femmes, la question ne se pose pas car pour elles, c’est LA manière de vivre qui est, en plus, légitimée par l’ordre social qui affirme que la femme est, dans son être, inférieure, qu’elle n’est pas capable de prendre des décisions, qu’elle doit se soumettre à celles de son père, de son mari et peut-être de son fils. Il y a eu des changements, certes, mais cette manière de penser existe toujours. La révolution des mentalités est la révolution la plus difficile à réussir. Changer une façon de penser, de voir la réalité telle qu’elle est, c’est ce qu’il y a de plus difficile à transformer. Les opprimés sont tellement

« confortables » dans leurs conditions qu’ils n’arrivent pas à réagir et vont même parfois jusqu’à défendre le système qui les opprime. Jusqu’au moment où ils se rendent compte de la réalité de la situation.

Ce moment arrive-t-il automatiquement ?
– Pas du tout ! Il arrive après la prise de conscience de l’état grave dans lequel on se trouve. De la confrontation avec des idées et des situations nouvelles. On se pose alors la question : est-ce que je veux vivre de cette façon, est-ce que je dois continuer à me laisser traiter de cette façon ? Un début de réflexion s’opère…

Peut-on dire que les religions ont aidé, ont participé à l’oppression de la femme ?
– Oui, les religions, en tant que systèmes organisés, ont participé et participent à l’institutionnalisation de l’oppression des femmes. Ce qui est très paradoxal dans la mesure où ces religions prêchent l’amour, le partage, l’égalité, l’inclusion, alors que, dans leur pratique et leurs idéologies, elles oppriment les femmes, ne leur donnent pas voix au chapitre, les relèguent dans un coin. Il y a eu des avancées dans ce secteur, parce qu’au sein des religions, des femmes – et des hommes féministes, heureusement – ont réfléchi à la question, se sont dit qu’on ne peut pas, dans un monde globalisé, fermer les yeux sur cette oppression et questionner le fait, effarant, que plus de la moitié de l’humanité est encore opprimée et que, quelque part, les religions contribuent à cette oppression, et surtout la justifient par des raisons philosophiques et même théologiques.

Vous êtes théologienne, donc une spécialiste de la religion catholique. Comment se fait-il que l’institution catholique vous ait permis de faire ce type d’études pour exercer ce métier « d’homme » ?
– J’ai commencé à étudier deux sujets qui me passionnaient : la sociologie et l’anthropologie, mais comme j’étais croyante et que la foi était une dimension importante de ma vie, je voulais étudier la Bible. J’ai rencontré des personnes qui faisaient de la formation théologique ouverte aux laïcs menant à l’accession des femmes à la formation et à plus de « responsabilités » au sein de l’Église. C’est comme ça que j’ai entrepris des études de théologie.

On vous a autorisé à le faire ? Pour reprendre une phrase biblique, on a laissé entrer un ver dans le fruit ?
– Je dois dire que j’ai eu beaucoup de chance — ou de grâce, comme on dirait dans le langage catholique —, parce que j’ai été encouragée dans ma démarche par Monseigneur Jean Margéot, qui était un évêque très ouvert sur la question des femmes et la promotion des laïques.

Question basique : à quoi sert une théologienne ?
– Je voulais comprendre les écritures, explorer plein de choses dans ma foi et le transmettre à d’autres. C‘était très basique, mais au fur et à mesure de mes études, j’ai compris la dimension institutionnelle et l’impact que je pouvais avoir à travers l’enseignement, mon autre passion. J’ai été la première Mauricienne catholique à faire des études de théologie. Quand je suis entrée en théologie, qui est un milieu très masculin, il y avait des religieuses et quelques femmes laïques qui faisaient les mêmes études, car en Europe, on était beaucoup plus avancée sur ces questions.
Et après avoir complété vos études, vous êtes rentrée au pays…
– C’était un choix réfléchi. Je voulais revenir pour transmettre et partager ce que j’avais appris et aider d’autres à grandir dans leur humanité, leur foi avec des valeurs qui me semblaient importantes.

Comment s’est passé ce retour à Maurice, au sein de votre Église ?
– À la fois facilement et difficilement. Je pense, aujourd’hui, que j’étais aveugle sur les difficultés que j’allais rencontrer. Il n’y avait pas de femme laïque et encore moins de théologienne dans l’Église et on ne savait pas trop que faire de moi. Il n’y avait pas de case pour me mettre. Il y avait au sein de l’Église une place qui pouvait être la mienne, et il fallait que je l’invente, cette place.

Avez-vous été perçue comme une menace pour les hommes en place dans la hiérarchie de l’institution ?
– Ils ne me l’ont jamais dit, mais peut-être que, secrètement, ils le ressentaient. Mais je dois dire que j’ai travaillé au sein de l’Église avec des hommes et des femmes formidables.

Quelles ont été les difficultés ?
– Premièrement, celle de se réadapter à Maurice et à l’Église locale après dix ans passés à l’étranger. C’est plus facile dans les grands diocèses de trouver sa place parce qu’il y a beaucoup d’espace pour respirer, ce qui n’est pas le cas dans un petit diocèse. C’était un travail de fourmi, de pionnière, mais j’étais passionnée et très créative, j’ai foncé au cours des premières années, et j’ai été responsable du centre de formation. Les gens voulaient connaître la Bible, mieux comprendre leur foi, la partager et avancer ensemble. Il y avait une grande vitalité dans l’Église au cours de ces années 1990 et 2000, et j’ai siégé dans beaucoup de comités, où les choses sont discutées, mais les décisions sont toujours prises par l’Évêque. Beaucoup de changements structurels ont été apportés dans le fonctionnement des paroisses, il y a eu plus de collaboration avec les paroissiens, ce qui a demandé beaucoup de combats pour faire face aux obstacles et à la résistance.

De la part de qui ?
– Des clercs qui dirigent l’Église, mais aussi des laïcs qui ne voulaient pas du changement dans les rapports très hiérarchiques, très institutionnalisés entre les laïcs et les prêtres. Il fallait changer ce rapport de pouvoir et ça a été un long travail. Je voulais que les laïcs soient plus formés pour prendre leur place, avoir plus de responsabilités dans la mission, le service de l’Église. L’Institut Cardinal Jean Margéot a été créé pour faire, entre autres, ce travail de formation et donner plus de responsabilités aux personnes – en majorité des femmes – qui jusqu’alors travaillaient dans l’ombre au sein de l’Église. C’était pour moi une façon d’amener la promotion de la femme au sien de l’Église. Et puis, en 2006, le responsable de l’Église est arrivé avec l’idée qu’il fallait ordonner seulement des hommes comme diacres permanents pour respecter la tradition de l’Église. C’était pour moi une grande forme d’hypocrisie, dans la mesure où le concile Vatican II avait décidé de permettre à des hommes mariés de devenir diacres permanents. Donc, l’Église est capable de rompre la tradition, mais seulement quand il s’agit des hommes ?!

Quelle a été la réaction des femmes engagées dans l’Église contre cette mesure machiste ?
– Un groupe de femmes, dont des religieuses, a demandé à rencontrer l’Évêque et les responsables de l’Église pour discuter de la mesure annoncée. Nous avons eu des discussions très animées au cours desquelles les femmes ont fait part de leur déception de cette décision allant contre le désir de travailler ensemble avec les hommes et d’avoir plus de responsabilités au sein de l’institution.

Quelle a été la réaction des responsables de l’Église quand ils ont été confrontés à la déception, à la colère des femmes ?
– Ils ont eu la réaction de l’Église hiérarchique quand les femmes commencent à exprimer leur désir d’être reconnues institutionnellement ; de ne plus être traitées comme des mineures au sein de l’Église ; de ne plus être seulement des femmes au service à qui on donne des rôles subalternes. Ils l’ont très mal pris.

Parce que c’était une révolte, presque un schisme ?
– Absolument pas ! Nous les femmes ne voulons pas nous séparer de cette Église que nous aimons, du Christ qui nous a appelées, aussi bien que les hommes, à le suivre. C’est la dimension de reconnaissance institutionnelle des femmes qui manque que nous réclamons. Dans d’autres pays du monde des femmes sont nommées à des postes de responsabilités, mais à Maurice, on a raté le coche : si on avait institué des ministères et masculins et féminins, les femmes auraient été reconnues institutionnellement et cela aurait envoyé un autre message que celui qui a été reçu : restons dans la tradition et la manière de faire et ne nommons que des hommes comme diacres.

Peut-on dire que l’Église catholique de Maurice est conservatrice ?
– Elle l’est assez. Il faut dire que nous sommes dans une institution millénaire avec de multiples règles et lois canoniques…

Mais le Pape François a dit et répété son intention de passer un grand coup de balai dans les institutions de l’Église pour la moderniser…
– Même lui rencontre énormément de résistance au sein de l’Église. Mais cela dit, il y a eu des avancées avec le Pape François qui a nommé de femmes dans les commissions et dans des postes de responsabilités pour les rendre plus visibles. C’est de ça qu’il s’agit : de visibilité au lieu de dire aux femmes travaillez, mais restez invisibles, car c’est un homme qui sera nommé aux postes de responsabilité. C’est ce qui s’est passé à l’ICJM.

Est-ce que vous pourriez développer ?
– Je n’ai jamais été nommée directrice de l’ICJM, où j’étais responsable du département de théologie et j’étais heureuse parce que c’était mon domaine. J’ai senti une grande résistance à me nommer directrice de cet institut, alors que j’avais les compétences et l’expérience voulue pour ce poste. J’ai vécu très douloureusement cette non-reconnaissance de mes qualités professionnelles.

Vous êtes en train de dire que les responsables de l’Église locale, qui sont des hommes ayant fait de hautes études et qui ont eu l’occasion de travailler avec vous, ont refusé l’avancée qu’aurait constituée la nomination d’une femme à la direction de l’ICJM ?!
– Tout ce que je peux dire, c’est que ceux qui doivent prendre des décisions à la fin au sein de l’Église catholique locale ne le font pas en faveur des femmes. Je ne dis pas que parce que j’ai travaillé pendant des années dans le diocèse, je devais être nommée, mais que cette nomination aurait envoyé un message aux femmes.

Qu’avez-vous fait après cette non-nomination ?
– Je suis tombée malade et puis, comme c’était une expérience très douloureuse, j’ai préféré prendre ma retraite tranquillement.

Est-ce qu’en ce faisant vous n’avez pas participé au mouvement de renoncement et de démission qui consiste à dire : « C’est comme ça, on ne peut rien changer, acceptons. » Ce dont nous avons parlé au départ de cette conversation ?
– Pas du tout. J’ai beaucoup lutté à l’intérieur de l’Église et avec d’autres femmes. J’ai mené le combat pendant de nombreuses années, mais à un moment donné, il fallait que je ne sois plus en contradiction avec le système dans lequel j’étais. C’était important pour moi de me retirer, de me retrouver et de savoir quelle était ma place en tant que théologienne catholique dans l’Église, pas nécessairement dans l’institution. D’autant que ne pouvant avoir le dernier mot, n’ayant pas le pouvoir de décision, j’allais subir les décisions des autres, et je ne le voulais pas.

Vous faites toujours partie de l’Église ?
– Bien sûr. Pas l’Église en tant qu’institution, mais l’Église en tant que communauté croyante de personnes passionnées par le message du Christ et qui veulent le transmettre et le faire connaître. Le Christ a apporté une révolution pour l’humanité, mais si on estime que ce n’est pas ça le plus important, mais les institutions, les lois, les règles, la tradition où les hommes ont le rôle principal…

On pourrait vous rétorquer que, dès l’origine, dans la religion catholique, Dieu est décrit au masculin, comme son fils, comme le Saint Esprit, donc, que la suprématie de l’homme existait déjà dans le message originel…
– Je connais ce discours idéologique, mais il y a toute une réflexion sur le masculin et le féminin pour dire Dieu, et je souligne que dans la Bible, il y a énormément de passages où Dieu est féminin.

Ce sont des passages de la Bible pas très connus…
– On se demande bien pourquoi ! Tout cela relève de toute une interprétation, de toute une construction idéologique de la Bible en faveur des hommes.
Est-il possible de déconstruire ce qui a été pratiqué, respecté pendant deux siècles ?
– C’est le grand travail de la formation. C’est pour cette raison que je suis devenue formatrice et enseignante, parce que tout commence par la réflexion et la prise de conscience que permettent l’éducation et la formation. Il s’agit d’apprendre à remettre en question une série de choses qui ont été considérées comme acquises, évidentes, éternelles, et dont on ne doit jamais discuter. Au contraire, je pense qu’il faut pouvoir questionner, discuter, parce que je crois qu’une vérité vraie va exister, s’imposer d’elle-même, par sa propre force, sans qu’on ait besoin de la défendre en mettant autour d’elle toutes sortes de barrières pour la « protéger. » Je crois qu’en ne permettant pas aux femmes d’accéder à des postes de leadership et d’institutionnaliser ses responsabilités, l’Église de Maurice se prive de tout ce que les femmes peuvent lui apporter comme expérience de la vie humaine.

Qu’est-ce qui explique cette résistance, pour ne pas ce refus, des religions à accorder aux femmes plus d’espace, plus de place ?
– Il ne faut pas généraliser, parce qu’il y a beaucoup d’avancées dans pas mal d’Églises donnant aux femmes plus de responsabilités et de visibilité. Mais dans la hiérarchie de l’Église catholique, il y a le cléricalisme, cette concentration de pouvoirs aux mains des hommes à la tête de l’institution. Ce sont eux qui décident aussi de la vie des femmes. Il faut revoir et repenser le système. Je ne désespère pas qu’il y ait un jour une révolution des consciences au sein de l’Église, d’autant qu’aujourd’hui la conscience universelle des femmes est plus éveillée. Jusqu’à quand l’Église va-t-elle rester en déphasage avec cette conscience qui se développe et refuser de remettre en question sa manière de faire ? La question de la place de la femme dans l’Église doit devenir une question centrale pour l’Église mauricienne. Les femmes ont une parole à dire, il faut qu’elle soit entendue et reconnue. Car d’une manière ou d’une autre, on vit encore dans un monde où l’oppression des femmes est immense et elles doivent continuer à faire entendre leur voix.

Justement, pourquoi est-ce que c’est maintenant que vous parlez publiquement des raisons qui vous ont poussée à prendre votre retraite ?
– J’en ai parlé au sein de l’Église là où il le fallait. Je n’en ai pas parlé publiquement jusqu’à maintenant, sans doute par souci de loyauté pour mon Église, peut-être une loyauté mal placée… Il fallait aussi prendre le temps de me reconstruire, car c’était violent, et j’ai eu un burn-out. Je précise qu’il n’y a pas de ma part de comptes à régler avec qui que ce soit. Mais avec le recul du temps, je me dis qu’il y a des choses qui doivent être dites. Comme une parole prophétique, pour employer le jargon de l’Église…

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