Le prix du sang

Il y a l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

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Ces craintes de guerre mondiale, cette menace nucléaire.

Ces vies chamboulées, menacées, enlevées, détruites, rayées.

Ces indignations, compassions et solidarités à géométrie variable.

Et puis encore, encore et toujours, ces egos, ces egos d’hommes qui déclenchent des guerres comme on piétinerait des châteaux de sable, semblant si loin de connaître et de considérer le prix de la vie.

Cette fois encore, ces images de soldats. Au masculin.

Pas de parité dans les armées. Ce sont, encore et toujours, les hommes qui vont au combat.

Serait-ce parce que les femmes sont « moins courageuses » ?

Ou parce qu’elles savent, intimement, le prix du sang ?

Ce qu’il en coûte, force banalisée, de fabriquer un corps humain, de lui donner vie, de le mettre au monde, de le faire grandir ?

Il y a ces guerres qui éclatent ici et là à travers la planète.

Et puis il y a ce combat qui n’en finit pas.

Ce combat qui se joue, sans interruption, dans les quelque 175 pays du monde.

Ce combat qui ne connaît pas de cessez-le-feu.

Alors que nous nous apprêtons à célébrer, en ce 8 mars 2022, la Journée Internationale des Droits des Femmes telle qu’officialisée en 1977 par l’ONU, force est de constater que cette guerre-là n’en finit pas de faire rage. Et de faire des victimes.

Oui, il y a eu des avancées. A force de bien des luttes.

Mais il reste incroyablement élevé le nombre de filles non scolarisées parce qu’elles sont des filles, le nombre de femmes qui à travail égal ne touchent pas le même salaire que les hommes, le nombre de filles mineures mariées contre leur gré…

Et puis surtout, il y a la question de la violence exercée contre les femmes.

Le non-respect brutal de leur intégrité physique et morale.

De nouvelles données publiées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et ses partenaires en 2021, alertent sur le fait que « La violence à l’égard des femmes reste terriblement omniprésente et débute très tôt dans la vie d’une femme. Au cours de sa vie, une femme sur trois est victime de violence physique ou sexuelle de la part d’un partenaire intime ou de violence sexuelle de la part de quelqu’un d’autre que son partenaire, un nombre qui est resté en grande partie inchangé au cours de la dernière décennie. La violence à l’égard des femmes est endémique dans tous les pays et toutes les cultures, causant des dommages à des millions de femmes et à leurs familles, et elle a été exacerbée par la pandémie de COVID-19 », a déclaré le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS. « Mais contrairement à la COVID-19, la violence à l’égard des femmes ne peut être stoppée par un vaccin. Nous ne pouvons la combattre que par des efforts profonds et soutenus – de la part des gouvernements, des communautés et des individus – pour changer les comportements néfastes, améliorer l’accès aux opportunités et aux services pour les femmes et les filles, et favoriser des relations saines et mutuellement respectueuses. »

En 2019, la jeune Shaïna Hansye, 15 ans, née de parents mauriciens, est poignardée et brûlée vive à Creil, en France, par son petit ami. Un « fait divers » qui a pris l’épaisseur d’un véritable fait de société suite à la publication d’une enquête de la journaliste Lorraine de Foucher pour Le Monde en septembre 2021. Celle-ci révèle l’horreur que Shaïna a subie. « Pas seulement le soir de sa mort, mais tout au long de son adolescence. Méprisée, manipulée, violée, harcelée, humiliée, tabassée : avant d’être assassinée, cette jeune femme a connu une descente aux enfers épouvantable. Elle n’est pas simplement la victime de l’homme qui l’a tuée. Elle est celle du monde dans lequel elle vivait : une cité étouffante qui méprise ses femmes et qui cache ses désirs dans ses recoins les plus glauques. Un petit monde clos qui a fait croire à certains hommes qu’ils avaient tous les droits sur le corps de cette jeune femme, justement parce que c’était une femme. Y compris le droit de la tuer » fait ressortir une émission sur France Inter, en marge de la grande marche blanche qui a eu lieu en France pour Shaïna.

Shaïna Hansye a en effet été aussi victime, en 2017, toujours à Creil, d’un « viol en réunion ». Notez bien l’appellation. On parle de « viol en réunion » et pas, par exemple « de viol en bande », comme si un acte aussi immonde pouvait relever d’une banale « réunion »… Et elle a de surcroit été tabassée après avoir porté plainte pour ce viol.

Mardi dernier, 1er mars 2022, la justice française a finalement rendu son verdict dans l’affaire du viol collectif de Shaïna. Trois des quatre prévenus ont été condamnés à 8 et 12 mois de prison avec sursis. Quant au quatrième jeune, il a été relaxé. A savoir qu’en droit pénal, une peine de prison avec sursis, à la différence de peine de prison ferme, signifie que la peine n’est pas exécutée. Elle sera appliquée uniquement en cas de nouvelle condamnation. En clair, cela veut dire que ces trois jeunes hommes, âgés de moins de 18 ans au moment des faits, n’iront pas en prison alors même qu’ils ont été reconnus coupables d’avoir collectivement violé une jeune fille de 13 ans. Ils n’iront en prison que s’ils recommencent…

Un verdict qui a suscité une levée de boucliers en France. Il y a deux jours, on apprenait que le procureur de la République de Senlis a décidé de faire appel de cette sentence jugée incroyablement insuffisante. Mais aussi qu’un des condamnés a décidé de faire appel…

Partout dans le monde, les femmes continuent d’être des proies, et des victimes, parce qu’elles sont des femmes. Et tous les rapports indiquent que les situations d’urgence exacerbent la violence contre les femmes, et augmentent de façon conséquente leurs vulnérabilité et les risques qu’elles encourent. En d’autres mots, les guerres qui fleurissent ici et là vont encore faire reculer les droits des femmes. Tout comme les changements climatiques, qui provoquent déjà plus de violences basées sur le genre, et une aggravation des problèmes liés à la santé sexuelle et reproductive.

Face à cela, il est éloquent de constater comment même certaines femmes refusent d’être désignées comme féministes, comme s’il y avait un mal à se battre pour le respect des droits élémentaires des femmes alors qu’ils sont clairement non-respectés, voire allègrement piétinés.

Certains, heureusement, ne s’embarrassent pas de vernis pour prendre position. Déjà connu pour sa dénonciation de la misogynie dans des chansons comme Papaoutai, l’artiste belge Stromae signe cette semaine son grand retour avec le lancement d’un album où figure notamment une chanson intitulée Déclaration :

« Si l’courage avait un visage, il aurait l’tien
Pas besoin de grand chose mais de toi, j’ai besoin
J’sais pas si j’crois en Dieu mais en toi, je crois bien
Et pourquoi s’rait-il masculin ?

Pardonne-moi, on n’nait pas misogyne, on le devient

Mais faudrait surtout pas qu’madame porte la culotte

Même si la charge mentale, on sait bien qui la porte

Et si être féministe est devenu à la mode

C’est toujours mieux vu d’être un salaud qu’une salope

Toujours obligée d’aimer enfanter
La contraception qui te détruit la santé
Endométriose, enchantée
J’suis mieux payé que toi sans vouloir me vanter

T’inquiète pas, ça va aller, faudra bien que ça change
Ça prendra quelques années vu que ça nous arrange »

Selon un rapport publié en mars 2021 par le Forum Économique Mondial, l’indice mondial de l’écart entre les sexes a nettement reculé en 2020, en raison de la pandémie de Covid-19. La crise sanitaire aurait en effet retardé « de plus d’une génération » le temps nécessaire pour parvenir à l’égalité homme-femme. Au point où il faudra encore compter 135,6 années avant de parvenir à la parité à l’échelle mondiale. Soit 36 ans de plus que précédemment estimé pour combler les écarts tant sur le plan économique que politique, de santé ou encore d’éducation.

 

« T’inquiète pas, ça va aller, faudra bien que ça change
Ça prendra quelques années vu que ça nous arrange… »

 

SHENAZ PATEL

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