Le sens de la fête

Comme chaque année, place aux célébrations dites nationales, à la liste des décorés avec ses rares méritants et ses trop nombreux totems religieux et socio-culturels. Puis, pour ceux qui veulent manifester leur sens aigu du patriotisme, il y a le quadricolore qui flotte sur le véhicule ou sur la résidence.

- Publicité -

Cette dernière pratique, visible et jubilatoire dans des moments très ponctuels de grande unité nationale et de fraternité, dénuée de soupçons et de rancoeurs, comme manifestée pour la dernière fois lors des Jeux des îles de 2019, se raréfie graduellement.
En cause, la perte de la notion d’appartenance à la nation, l’insatisfaction qui se généralise, le sentiment qui anime plusieurs catégories de Mauriciens qui considèrent qu’ils sont continuellement victimes d’injustices sur des critères malsains, la frustration de ne pas bénéficier de chances égales, bref, de souffrir de diverses formes d’exclusion.

Et s’il fallait vérifier ce qui précède, il n’y aurait qu’à regarder la MBC tous les soirs pour se convaincre que beaucoup de Mauriciens ont l’impression de ne pas vivre dans le même pays que certains de leurs concitoyens et de ne pas avoir les mêmes préoccupations et les mêmes problèmes.

Si l’indépendance est acquise, parce qu’elle est cinquantenaire et plus ancienne, la République qui fête ses 30 ans cette année se cherche encore. Les valeurs qu’elle est censée véhiculer, promouvoir et inculquer sont cruellement absentes de tous les compartiments de l’organisation sociale.

Si on sait c’est quoi être indépendant, le terme disant pratiquement tout, on est, par contre, ignorant de ce que signifie ou ce qu’induit la République. C’est la faute à l’enseignement trop académique et livresque qui ne fait pas ou peu de place à l’histoire du pays, à sa construction et à son évolution. Mais aussi aux partis politiques qui font l’impasse sur leur propre histoire, pourtant riche et inspirante.

Les universitaires qui ont un regard dépassionné sur l’histoire du pays sont rarement invités dans les établissements publics et privés pour parler des grandes étapes de la vie du pays. On dirait que c’est un sujet tabou, un peu comme pour l’éducation sexuelle au collège, alors même que les jeunes sont de plus en plus actifs très tôt à l’adolescence et que cela se termine parfois par des drames.

Ceux qui ont 18 ans aujourd’hui et qui quittent l’école savent très peu de ce qu’ils héritent, d’où ils viennent et comment le pays a évolué. C’est ce qui explique que certains se croient propriétaires de la République de Maurice et que les premières et les meilleures places leur sont obligatoirement réservées.

La Constitution héritée du colonialisme ne résiste plus au temps ni à l’usure. Lorsqu’on a plus de 50 ans, on ne peut échapper à un bilan de santé, à un diagnostic d’étape pour voir si tout va bien et s’il n’y a pas lieu de prévenir les carences et corriger les insuffisances. C’est ce qui s’impose impérativement à la loi suprême du pays.

Qui trouve normal aujourd’hui, en 2022, qu’un Premier ministre puisse choisir et nommer tous les dirigeants des organismes publics et surtout ceux censés être indépendants et qui finissent par se comporter comme ses agents personnels parce qu’ils s’en considèrent redevables?

Est-ce acceptable que le PM place un commissaire de police en probation et s’assure qu’il fasse «bon garçon», qu’il ne gêne pas le pouvoir et qu’il s’occupe plutôt des opposants, avant de le confirmer à son poste?

Trop de pouvoirs pour un seul homme qui, à bien voir, n’a rien de plus en terme de légitimé populaire et démocratique qu’un autre élu de la République. C’est un argument ressassé depuis des lustres mais, mises à part les petites améliorations de 2003, peu de progrès si ce n’est, au contraire, une lecture, depuis peu, conservatrice de l’esprit et de la lettre de la Constitution pour pouvoir, dans les faits, tout confisquer.

Si des gouvernements précédents ont essayé tant bien que mal de dépoussiérer quelques clauses de la Constitution lorsqu’ils avaient la majorité requise, celui issu des urnes depuis 2014 n’a proposé aucun texte qui approfondisse la démocratie à Maurice ou qui améliore le fonctionnement des institutions pour qu’elles regagnent enfin la confiance de tous les Mauriciens sans distinction.

Lorsque l’Economic Intelligence Unit a évoqué la qualité de la démocratie chez nous, des ministres, surtout ceux qui sont les plus folkloriques mais dangereux, se sont empressés de convoquer la presse pour fanfaronner. Par contre, lorsque l’institut suédois V-Dem constate que l’autocratisation de l’île Maurice s’accélère, plus personne pour venir commenter et pas de trace sur les ondes du service public.

Or, revigorer la démocratie est urgente. S’il n’y avait pas les radios privées, qui célèbrent leur 20e année, en attendant la télévision plurielle – qui tarde de à venir, ce qui est autant rétrograde qu’indigne –, les réseaux sociaux, la presse pour accueillir toutes les frustrations du peuple, peut-être qu’il serait descendu dans la rue ou reproduit les pires et douloureux moments que le pays a connus.

Quelle est la finalité de la célébration et comment stimuler la fibre patriotique et le sens de l’appartenance lorsque, à la base, le système électoral est miné par son manque d’équité et que son organisation même est sérieusement remise en question?

Il faudrait, peut-être, commencer par là. Et non pas venir, pour la galerie, avec un texte présenté délibérément pour connaître l’échec, faute de consensus, mais pour rassembler, susciter vraiment l’adhésion et avancer. Le renforcement de la place des femmes à l’Assemblée nationale fait l’unanimité, mais jusqu’ici, aucun texte pour concrétiser ce voeu majoritaire, par absence de volonté politique. Et on célèbre le 8 mars avec de grands discours creux.

Voilà pourquoi célébrer, c’est bien, mais encore faut-il donner du sens à la fête. Pour que tous, Mauriciens de Maurice, de Rodrigues, d’Agaléga et des Chagos sans distinction, se retrouvent vraiment dans le quadricolore.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour