Pena kata-kata,
ena kata… strof

Habitué des perles langagières, le commissaire de police a, cette semaine, repris à son compte une expression jadis chère à sir Anerood Jugnauth. Après la dernière saisie de drogue en mer, Chandra Kumar Dip, simulant, tout à la fois, le matamore, le fanfaron et le père Fouettard, a affirmé « ar mwa pena kata-kata ». Vraiment ? À bien y voir, pena kata-kata pour le mec en képi choisi par le Premier ministre, mais ena kata… strof pour le pays !
N’ayant jamais été confronté qu’à des micros complaisants qui ne lui poseront jamais des questions sur son action sans précédent contre le Directeur des Poursuites publiques, sa nuit en détention ou sur la saga du fiston, grand pigeon voyageur qui a bénéficié d’une grâce aussi inédite que suspecte, ce commissaire croit pouvoir s’en tirer à bon compte.
Non, ça peut passer ailleurs, mais pas pour ceux qui aiment ce pays et qui voient bien à quel point les autorités et leurs complices n’arrêtent pas, sur le front de la lutte antidrogue, de nous enfumer littéralement et de nous embarquer dans des aventures chimériques pour mieux nous endormir.
Un bref rappel et un nécessaire inventaire suffiront pour faire la démonstration que l’on nous mène allègrement en bateau sur un sujet aussi sérieux que la drogue. Le grand truc, c’est d’essayer de nous impressionner en nous balançant le gros volume des saisies et les milliards qu’ils représentent en valeur marchande. Nombreuses, ces mises en scène pouvant faire croire que des réseaux ont été démantelés et que des parrains sont mis hors d’état de nuire. Et après…
Et après ? Rien. Cela fera bientôt sept ans que l’affaire des bonbonnes bourrées d’héroïne d’une valeur de près de Rs 3 milliards découvertes dans l’enceinte portuaire a éclaté. À part Navin Kisnah appréhendé à fort renfort de publicité et une implication personnelle revendiquée d’un Premier ministre fraîchement installé sur le trône suprême, rien jusqu’ici, pas la plus petite condamnation. Pareil pour les 100 kilos d’héroïne retrouvés sur un hors-bord en 2018.
La tractopelle renfermant 95 kilos de cocaïne étonnamment venues en VIP et qui, en 2019, ont pu tranquillement sortir du port en même temps que les premiers rames du tramway est restée jusqu’aujourd’hui un bien épais mystère, alors même que cette drogue connaît une circulation restreinte puisqu’elle est consommée par la jet-set et dans les soirées sélectes. Était-ce si difficile de savoir à qui elle était destinée et qui en avait financé l’importation ?
Rien jusqu’ici non plus sur les 243 kilos d’héroïne et les 26 kilos de haschich saisis à Pointe-aux-Canonniers en 2021. Sauf qu’un des prévenus pourrait obtenir la liberté conditionnelle si, d’ici mars 2024, la police n’a pas bouclé son dossier et que la poursuite n’a pas instruit un procès. Voilà ce qu’a décidé la justice en septembre de l’année dernière.
Si ce n’est pas de la drogue dont il s’agissait, on aurait pu faire une collection de gags qui aurait amusé même au-delà de nos frontières. Les dernières opérations sont, à cet effet, très éloquentes quant à leur caractère aussi surréaliste que révoltant.
En novembre, il y eut un grand tapage autour d’une rave party organisée à Fond du Sac et de saisies de cocaïne, cannabis, LSD et autres amphétamines qui circulaient librement, selon les cracks de la Special Striking Team. Il y eut quelques arrestations, puis niet, parce qu’il y aurait eu des proches de personnes bien connectées et même un cadre de la Forensic Science Laboratory à cette soirée. On ne sait pas si c’était pour authentifier la qualité des stupéfiants qui circulaient !
Ce qui aura été le plus cocasse dans cette longue série digne d’un feuilleton de mauvais goût, c’est indiscutablement l’épisode du 29 décembre à Baie-du-Cap. La SST aurait mené une opération menant à la saisie de Rs 60 millions de cannabis avec échange de coups de feu et fuite des présumés trafiquants qui n’ont pas été retrouvés depuis. Voilà des brigands qui auraient tiré sur des forces de l’ordre et qui seraient toujours dans la nature. Peut-on imaginer plus burlesque !
Une vidéo montrant un activiste religieux sillonnant Vallée Pitot à bord de son véhicule muni d’un porte-voix dénonçant la vente de la drogue au vu et au su des forces de l’ordre est très révélatrice du degré de pénétration de ce fléau.
Cet incident survenant quelques jours après les interpellations du frère de la PPS Tania Diolle en possession d’héroïne et du neveu du ministre Sudheer Maudhoo avec une seringue de ketamine, sur lesquelles des questions restent posées quant aux choix des cibles, ont tout pour accréditer une thèse très répandue dans la population selon laquelle le « kas lerin ladrog » ne s’arrête qu’à quelques consommateurs, deux ou trois petits dealers et un quarteron de passeurs.
La question qui se pose immédiatement est celle de savoir pourquoi ces petits poissons ne balancent pas les noms des gros requins, des commanditaires et de ceux qui financent ces onéreuses importations de produits de la mort. Est-ce parce qu’ils ont peur de finir comme Soopramanien Kistnen, cramé dans un champ de cannes ? Parce que la mafia, c’est comme ça : celui qui est trop bavard est liquidé et ses proches traqués et ciblés.
Les parrains qui sont en prison et qui doivent probablement poursuivre leur sale trafic ont été condamnés avant 2014. Pas un seul baron avéré et connu de tous n’a été mis hors d’état de nuire depuis. Et ce Franklin qui est désormais sous le coup d’une extradition n’aurait jamais été inquiété si l’affaire de Rave Party, de chasse, de pot de vin n’avait pas relancé les aspects extrêmement louches du dossier d’un trafiquant de drogue condamné à La Réunion et qui pouvait, malgré cela, voyager tranquillement entre Maurice, les Seychelles et Madagascar.
Avec tout ça, on n’est pas loin de devenir comme un petit Équateur, ce pays où les trafiquants peuvent impunément dicter leur loi, investir des studios et menacer les journalistes en direct. Mafialand quoi…
JOSIE LEBRASSE

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