Radhakrishna Sadien : “La sécurité des employés doit être considérée comme un droit fondamental”

Notre invité de ce dimanche est Radhakrishna Sadien, président de la SEF (State Employees Welfare Federation), qui représente le secteur public, et la Congress Independent Trade Unions, qui représente les corps paraétatiques et aussi les employés du privé. Le syndicaliste évoque les récents événements climatiques qui ont secoué le pays et le monde du travail, laissant place à un traumatisme chez les Mauriciens, et plaide — face aux nombreux couacs encourus dans le sillage, dont des drames conséquents pour les travailleurs — pour une révision des lois. Pour lui, il n’existe pas deux catégories de travailleurs, ceux du public et ceux du privé. Tous les travailleurs sont des travailleurs, insiste-t-il, plaidant pour que la sécurité des employés soit considérée comme un droit fondamental.

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Comment évaluez-vous l’efficacité des protocoles actuels, en particulier à la lumière des récentes inondations et des préoccupations exprimées par les travailleurs et les syndicats ?
D’abord, je dois dire que les événements du lundi 15 janvier ont été traumatisants pour l’ensemble des Mauriciens. Et plus particulièrement les travailleurs qui se sont retrouvés dans les inondations. Pour quelles raisons, c’est là le débat. Certes, il y a le Heavy Rainfall Public Sector Protocole qui est actuellement en force dans la fonction publique. Mais a-t-il été appliqué comme il le devrait ? Selon mes informations, lorsque la pluie a commencé, le secrétaire du Cabinet avait déjà pris une décision vers 10h, mais la circulaire du ministère de la Fonction publique est sortie vers 11h20-11h30. Et lorsque c’est parti, bien sûr, il y a une procédure, et cela n’arrive pas aux différents sites de travail à la même heure. Et dans la circulaire, il était fait mention que les employés peuvent partir à partir de 12h30. Mais à cette heure, Port-Louis était déjà inondé. Le secteur privé a passé un communiqué, avant midi, et demandait aux employeurs de stay guided by the protocole. Quel est ce protocole ? Est-ce que ce protocole est connu des travailleurs ? Au final, nous avons vu ce qui s’est passé. Et cela reste traumatisant.

Pouvez-vous expliquer les préoccupations que vous avez soulevées concernant les faiblesses du protocole existant en cas d’inondations ou de cyclones ?
Il savoir que le protocole de la fonction publique fait mention d’un comité qui doit être mis sur pied au niveau de chaque ministère et département, et qui est censé être présidé par le Supervising Officer, soit le APS ou le PS lui-même, dépendant de chaque ministère. Il y a aussi un Desk Officer qui est désigné par le Supervising Officer. Mention est aussi faite de la présence d’un responsable de la santé et de la sécurité au travail, de l’officier en charge des ressources humaines, qui sont censés préparer une liste des flood prones areas à partir des informations à leur disposition et aussi un release arrangement plan for employees to be prepared and kept ready. Ce protocole ne date pas d’hier. Cependant, ce protocole n’est pas inclusif. Les syndicats ne font pas partie de ce protocole. Comment cela se fait-il ? C’est une des raisons pour lesquelles nous avons écrit au secrétaire du Cabinet pour demander une rencontre en vue de discuter de différentes lacunes du protocole. Surtout que nous avons de nombreuses interrogations. Par exemple, ce comité est censé faire un travail régulier et envoyer un rapport régulièrement au NEOC. Cela se fait-il vraiment ? Nous avions des questions quant au shift workers, ceux qui travaillent sur des staggered hours, etc. et qui ne sont pas pris en considération dans le protocole. Qui plus est, nous avons vu que certains responsables de certains ministères ont fait pas mal de difficultés pour laisser partir les travailleurs le lundi 15 janvier. Beaucoup de fonctionnaires ont dû attendre les instructions pour pouvoir partir. Il y a un désordre indescriptible par rapport à ce jour-là. Il faut savoir comment réagir lorsque le protocole doit être appliqué. On ne souhaite pas qu’un autre 15 janvier se répète.

Les syndicats n’ont-ils pas eu leur voix dans l’élaboration de ce Heavy Rainfall Protocole ?
Non. Et ce qui est encore plus surprenant, c’est par rapport au NEOC, émanant de la National Disaster Risk Reduction and Management Act de 2016, créé suivant les inondations de 2013. La section 4 de cette loi fait mention qu’il y a du NDRR Council, présidé par le ministre responsable, le secrétaire du Cabinet, le CP, et 19 Supervision Officers de différents ministères. Il y a aussi le directeur de la météo. Or, je me demande, lors d’un cyclone par exemple, quand le directeur de la météo est censé siégé au comité, qui doit rester à la station météo pour diriger les opérations. Soit. Sur ce comité, il y a aussi un représentant de Business Mauritius, et un représentant du MACOSS (Mauritius Council of Social Service). Mais parmi tout ce monde, il n’y a personne du ministère du Travail. Une première lacune. Et deuxièmement, il n’y a aucun représentant syndical non plus. La voix des travailleurs est absente de ce conseil. Or, quand des décisions telles que relâcher les travailleurs en cas d’intempéries sont prises, la voix des travailleurs n’est pas prise en compte. Par contre, celle du patronat est entendue. Pour moi, il y a une opacité par rapport à ce comité et ses objectifs sont vraiment vastes. Il y a une loi très jolie, sans doute parce que nous avions tiré des leçon, mais malheureusement, dans la pratique, c’est autre chose. Il aurait fallu que ce comité soit inclusif. La presse aussi devrait en faire partie, car il s’agit d’enjeux nationaux. Il ne s’agit pas de politique partisane.
La différence de traitement entre les employés des secteurs public et privé en matière de protocoles d’alerte crée des tensions et des frustrations parmi ces derniers…
C’est évident qu’il y a des frustrations. Il y a le protocole dans la fonction publique, et je ne sais pas s’il y a vraiment un protocole dans le privé. J’ai entendu sur une radio le représentant des employeurs dire qu’il existe un protocole en cas de classe I, II et III, et que cela était suivi. Or, si avant nous avions les cyclones, aujourd’hui, outre les cyclones, il y a les inondations et d’autres risques. C’est pourquoi nous devons savoir quel protocole existe vraiment, et si ce protocole existe, il ne faut pas que soit connu que du patron. Il faut que les travailleurs aussi soient au courant de ce protocole.

Ensuite, aujourd’hui, ce protocole est laissé entre les mains de l’employeur pour décider. Ce n’est pas juste, car malheureusement, l’objectif du patronat c’est le profit. Je ne sais pas si la sécurité passe en premier pour eux. Imaginez si on avait laissé les décisions concernant la compensation salariale uniquement entre les mains du patron ce qu’il en serait aujourd’hui. Il y a de bons patrons, il y a des méchants.

Aussi, ce qui est plus important lorsqu’on parle de protocole pour le public, protocole pour le privé, on est en train de catégoriser, de discriminer les travailleurs. Or, pour moi, il n’y a pas deux catégories de travailleurs. Tous les travailleurs sont des travailleurs, et leur santé et leur vie comptent au même titre. C’est pourquoi je dis que nous devons mettre cela dans la loi, car la santé et la sécurité des employés sont une question de droit.
Vous estimez que la sécurité des employés doit être considérée comme des droits fondamentaux, mais quelles actions spécifiques suggérez-vous pour garantir leur protection ?

On ne peut pas avoir deux catégories de travailleurs. Dans la loi concernant la santé et la sécurité au travail qui concernait le privé et qui est désormais applicable également pour le public, il est stipulé que si un employé se sent menacé dans sa santé, il peut refuser un travail si on n’a pas pris les dispositions nécessaires pour le protéger. C’est pourquoi nous voulons parler avec le secrétaire du Cabinet. Tout cela doit être mis dans la loi et ne pas être laissé entre les mains du patronat. Si on prend l’exemple du Covid, nous ne savions pas que cela allait nous affecter tous. La pandémie a pris des mois et des mois, et le gouvernement est venu avec des mesures pour soutenir les entreprises qui ont repris par la suite. Alors, ne me dites pas qu’un jour de pluie c’est trop cher payé pour le gouvernement comparé à des pertes de vies humaines. Qui plus est, pensez-vous que les gens qui restent au travail seront productifs alors qu’ils savent ce qui se passe dehors ? Les intempéries, c’est une inquiétude nationale. Tout le monde doit être sur le même pied d’égalité. Comme la personne qui a quitté sa maison, et est partie travailler pour que la compagnie privée pour laquelle il travaille puisse produire, celle qui travaille dans le service civil ou paraétatique travaille pour que le service fonctionne. On va travailler pour nourrir sa famille et non pas pour perdre sa vie. C’est un droit fondamental qu’il faut faire respecter.

Quelles améliorations devraient selon vous être apportées au niveau de la communication pendant ces situations extrêmes pour assurer une diffusion rapide et efficace des informations ?
Il faut d’abord que les travailleurs soient mis au courant des protocoles existants. Tous les moyens de communication doivent être utilisés et on doit s’assurer que la communication passe, par téléphone, par internet. Mais il arrive aussi qu’il y ait des coupures d’électricité. Donc, il faut voir d’autres alternatives aux mails. On a aussi la radio… Il faut que les informations circulent. Et la communication doit être claire pour tout le monde. Chaque employé doit savoir ce qu’il est censé faire dans chaque circonstance.

Quelle est votre réaction aux déclarations de Business Mauritius concernant la nature spécifique des opérations devant être prise en compte dans l’élaboration des protocoles, et comment cela pourrait-il être mis en œuvre de manière équitable pour tous ?
Je comprends la situation des entreprises, mais un problème comme des flash floods est un problème national. En cas de classe III, comme c’est dans la loi, les employeurs respectent la loi et ils ne demandent pas aux employés de venir travailler. Pour moi, c’est la même situation avec les flash floods. Surtout qu’aujourd’hui les flash floods sont récurrents avec le changement climatique. Alors dans les cas extrêmes climatiques, cela ne doit pas être difficile de prendre une décision. Le moins de personnes sur la route, le mieux aussi pour l’entreprise durant ces périodes difficiles. Pensez-vous que dans le cas d’intempéries, lorsque les entreprises réclameront de l’aide au gouvernement, celui-ci répondra non, alors que les employeurs ont été du côté des employés, de la population ?

Comment envisagez-vous la collaboration entre les autorités gouvernementales, les employeurs du secteur privé, les syndicats et d’autres parties prenantes pour élaborer des protocoles d’alerte plus équitables et efficaces à l’avenir ? Ne pensez-vous que ce serait un NEOC ?
Avec le NEOC, il y a un problème de cohésion. On a vu ce qui s’est passé avec la météo qui est partie prenante du NEOC. Et aujourd’hui on est en train de dire que c’est la faute de la météo, de son directeur, alors que dans la loi, c’est le NEOC qui est responsable de donner les informations. Quand je parle de comité de multiparité, je parle de l’inclusion de tous les partis concernés. Et dans ce cadre-là, lorsque les décisions sont prises, personne ne peut venir dire que n’étions pas au courant. Aussi, le travail doit se faire en amont. On ne peut pas attendre la veille d’un cyclone pour prendre des mesures. Il faut le faire quand il fait encore soleil. Il faut que les gens prennent conscience de ce qui se passe. Il y a des décisions à prendre et des lois à appliquer avant. Par exemple, s’agissant de jeter la saleté n’importe où, il faut des décisions. Il faut qu’on commence quelque part et qu’on inclue tout le monde. Si on est impliqué au départ, il y a des choses qu’on peut éviter.

Il a aussi été question de mettre en œuvre un “disaster leave”…
Le disaster leave est un proposition d’Ashok Subron. Il y a eu en effet des employeurs qui ont demandé à leurs employés de prendre, dans le cadre des récents événements, des congés qui seront coupés sur leurs local leaves. C’est injuste, car le local leave appartient à l’employé pour ses propres besoins. C’est pourquoi un disaster leave a été suggéré. Le disaster leave doit être on and above all leaves. Ce n’est pas l’employé qui décide du disaster et de ne pas pouvoir se rendre au travail. Les employeurs doivent en être conscients. Cela n’arrive pas tous les jours. C’est quelque chose qui doit être intégré dans la loi, qui donnera une protection à l’employé et à l’employeur.

Quel rôle joue le télétravail dans cette discussion, et quelles sont les considérations spécifiques à prendre en compte pour favoriser le télétravail, surtout dans des conditions météorologiques difficiles ?
S’il y a un protocole en place, alors, on sait dans quels moments difficiles appliquer le télétravail. Les employés doivent être mis au courant. Mais tout le monde ne peut pas faire du télétravail parce que les métiers sont différents. C’est pourquoi on parle d’amendement à la loi. Pour ceux qui ne peuvent faire du télétravail, il faut une alternative. D’où la proposition pour le disaster leave. Mais tout doit être clair. Il faut que ce soit spécifique. Il faut se préparer. Les entreprises doivent aussi avoir un preparedness plan.
En ce qui concerne les entreprises n’ayant pas encore de police d’assurance pour leurs employés, comme dénoncé par votre collègue Ashok Subron, quelles actions spécifiques suggérez-vous que Business Mauritius doit entreprendre pour remédier à cette situation ?
Business Mauritius doit encourager ses membres à prendre une assurance pour leurs employés. Du moins pour les entreprises qui ne l’ont pas encore fait. Les flash floods sont des phénomènes nouveaux. Nous devons nous adapter. Comme nous le faisons avec le vieillissement de la population, par exemple. À cause du vieillissement de la population, nous sommes en train de recruter des travailleurs étrangers. Les entreprises s’adaptent, alors pour les flash floods aussi, nous devons nous adapter. C’est pour le bien de l’entreprise. La main-d’œuvre est importante pour une entreprise. Il faut qu’on la protège.

Comment pensez-vous qu’il faille encourager une sensibilisation accrue à l’échelle nationale sur les droits des travailleurs en cas de conditions météorologiques extrêmes, et quel rôle jouent les syndicats dans ce processus ?
Le rôle du syndicat aujourd’hui ce n’est pas seulement de discuter des salaires. Les syndicats ont déjà commencé à sensibiliser leurs membres sur le changement climatique, mais il faut que ce soit quelque chose de national. L’employeur doit être partie prenante. C’est un travail que nous devons faire ensemble. Les travailleurs sont membres de la société mauricienne et ils témoignent de tout ce qui se passe. Il faut que tout le monde soit sensibilisé. C’est d’ailleurs l’un des objectifs de notre lettre au chef de la fonction publique, pour voir comment impliquer les syndicats dans la sensibilisation. Nous ne voulons pas traverser le même traumatisme du 15 janvier. Il faut un masterplan national. Aujourd’hui à Maurice, il y a trop de bétonnage dans le pays. Les drains ne sont pas aux normes. Il n’y a pas de quality control. Les murs des maisons, des bâtiments privés sont construits sur les routes aujourd’hui. L’eau n’arrive pas à circuler. Il y a un gros travail de sensibilisation à faire à tous les niveaux. On ne peut pas déboucher les drains uniquement lorsqu’il pleut. Il y a des bâtiments à Port-Louis qui doivent être fermés, qui avaient été fermés justement en 2013, car on avait vu les conséquences, mais qui ont rouvert leurs portes. Pour moi, il faut revoir le développement du pays. Il faut un plan d’ensemble. Il y a un gros travail à faire, il faut le faire en collaboration avec tout le monde.

Un mot de la fin…
Je voudrais exprimer ma tristesse envers ce qui s’est passé à la météo. Voyez-vous, la météo est une science qui donne des prévisions, mais personne ne peut dire, sauf Dieu, ce qui va vraiment se passer. Or, aujourd’hui, on vient faire porter le chapeau d’une décision à l’ancien directeur de la météo. Si c’est lui qui a donné les informations qui ont circulé, le directeur de la météo n’est pas seul dans son département. Il se base sur des données fournies par ses techniciens. Pourquoi le pointer lui du doigt ? Il fait partie d’un comité national, où siègent également les représentants de 19 ministères, les ministres, les PS… J’aimerais dire : à l’ère où nous sommes dans la fonction publique, y a-t-il un Supervising Officer qui oserait dire le contraire à un ministre s’il pense le contraire ? Avons-nous encore ces fonctionnaires du passé qui pouvaient s’élever contre une décision d’un ministre ? Si oui, quelle voix sera entendu. De l’officier ou du ministre ? On ne peut pas pour calmer l’opinion publique s’appuyer sur un bouc émissaire. C’est triste…

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