Les dénonciations d’actes de torture comme des champignons dans les postes de police

Deepak Jeeool: « Bann gard ti fini sou kan zot bat mwa ! »

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Différentes unités de police auraient enregistré des scènes humiliantes des suspects lors des interrogatoires

Bruneau Laurette cible une Special Cell derrière l’arrestation des frères Saramandine, en 2020, dont le responsable a été promu chef inspecteur cette semaine

C’est une véritable boîte de Pandore qui a été ouverte depuis samedi dernier, après la diffusion de trois vidéos de tortures policières attribuées à une équipe de la CID de Terre-Rouge. Durant la semaine, au moins une dizaine de vidéos du même genre ont été postées sur les réseaux sociaux, et elles ciblent plusieurs unités de police à travers l’île. L’une d’elles se serait déroulée à la CID du Sud, où l’on voit des officiers jouer au carrom avant que l’un d’eux ne marche sur les pieds d’un individu menotté à terre. Ce dernier, Deepak Jeeool (49 ans), s’est confié au Mauricien à ce sujet. « Bann gard ti fini sou kan zot bat mwa ! » confirme-t-il.

Cet habitant de Plaine-Magnien semble marqué par les actes de torture subis aux mains d’une équipe de la CID du sud. Par ailleurs, dit-il, la vidéo en question ne montre qu’une partie de ce qui se serait passé derrière la caméra. Deepak Jeeool explique ainsi avoir été arrêté en 2019 pour une affaire de vol sur la plage de Blue-Bay, bien qu’affirmant avoir « trouvé un sac sur la plage, que j’ai ensuite ramassé ». Sauf que les images des caméras du Safe City Network ont filmé la scène.
C’est ainsi qu’après l’avoir identifié, les policiers l’ont arrêté quelques jours plus tard. Si l’homme ne se rappelle pas la date exacte de son arrestation, il se souvient en revanche parfaitement avoir été conduit dans un premier temps au poste de police de Blue-Bay. Par la suite, une équipe de la CID du Sud avait pris le relais. Après quoi le suspect avait subi une séance interrogatoire musclé, entouré, dit-il, d’une dizaine d’officiers.
« Zot rod fer mwa pran sarz bann lezot case ki mo pa fer », lance le quadragénaire. Aussi, face à son refus de « coopérer », des policiers l’auraient emmené, selon ses dires, dans un champ à Mon-Désert, dans la région de Grand-Port. C’est là que l’homme dit avoir été torturé. « Zot tir mo linz ek zot donn mwa kout electrik (un taser, NdlR). » Et bien qu’il dit s’être mis à hurler, cela n’aura servi à rien, car personne ne se trouvait dans le périmètre.
Deepak Jeeool affirme que la CID a ensuite utilisé une autre méthode de torture, cette fois dans le bureau. « Zot met cuff (des menottes, NdlR) dan mo lamin. Apre zot pran enn serviet mouye e zot anroul li lor mo figir. » Il affirme avoir supplié les policiers d’arrêter, car, dit-il, il n’arrivait plus à respirer correctement. Sans compter qu’il souffre de diabète. Des supplications qui n’auront toutefois servi à rien, selon lui.
Sur la vidéo en circulation, on voit le détenu menotté et assis à terre pendant que des policiers jouent au carrom. « J’étais exténué. J’avais enduré beaucoup de choses qui ne figurent pas sur cette vidéo », dit-il. À un moment, un des policiers se serait levé avant de marcher intentionnellement sur les pieds de Deepak Jeeool. Cependant, il explique n’avoir rien dit, de peur de se faire agresser.
Poursuivant son récit, l’homme explique qu’il a ensuite assisté à une « fête » au bureau de la CID. Certains officiers auraient alors commencé à consommer de l’alcool. « Zot tengn lalimier, zot bwar. Kan zot fini sou, zot koumans tap mwa ! » Il ajoute : « mo ti panse mo pou fini mor ! »
Deepak Jeeool admet n’avoir rien dit en Cour sur les agissements des policiers par ignorance concernant l’aspect légal. Sans compter, dit-il, qu’il n’avait alors aucun avocat à l’époque. « Mo fami pa ti ena kas pou pran avoka. Alor monn res trankil », dit-il. Ce n’est que cette semaine qu’il a appris l’existence d’un enregistrement vidéo, dans lequel il figurait. « J’avais tellement mal que j’ignorais que quelqu’un faisait une vidéo », poursuit-il.
Pour autant, il ne compte pas rester les bras croisés. Aussi a-t-il signifié son intention de porter plainte au Central CID au plus tard ce week-end. Le quadragénaire a pour ce faire retenu les services de Me Yatin Varma. Quant aux policiers qui l’auraient torturé, Deepak Jeeool dit être en mesure d’identifier au moins trois d’entre eux.

Une dizaine de vidéos du même type, tout aussi choquantes, sont depuis en circulation. On y voit des suspects humiliés par des policiers. Ainsi, outre les trois premières vidéos, montrant des suspects nus et recevant des décharges électriques dans leurs parties intimes à l’aide de taser, d’autres montrent ce qui passe derrière les murs de certains postes de police. À l’instar de personnes subissant des traitements dégradants, le tout devant des policiers en train de lancer des jurons.

Dans une autre, l’on voit un suspect vêtu d’un short et d’un casque contraint de mimer un homme roulant à moto. Exténué, il est contraint de se courber pendant la scène, des policiers lui lançant en même temps : « Roul roule » ou encore « Roul g… la bien f… ! » Et alors que le jeune homme ne comprend pas trop ce qu’on attend de lui, l’un des hommes lui donne un coup de pied à la main, tout en lui lançant des jurons. Selon des renseignements, le suspect avait tenté de semer la police à moto, ce qui « expliquerait » la raison de cette étrange « punition ».

Une deuxième vidéo, est filmée dans un véhicule de police pendant la nuit. On y voit un suspect menotté obligé à chanter l’hymne national. Un officier le menace alors en lui lançant : « Si to rat enn bout dan sa l… s… m… la, gar ar twa. Ale, large ! » Le suspect, le visage pétrifié, obéit et chante, la voix tremblante et au bord des larmes. À la fin, l’officier hurle sa joie lorsque l’homme réussit.

Dans une autre vidéo encore, un jeune, toujours menotté, se trouve dans un bureau, où il est contraint de faire du… jogging. À plusieurs reprises, un homme lui lance « Jump ! » à l’endroit où il doit sauter. Un autre ajoute aussitôt : « Dir : Misie, mo pa pou koz ou manti aster ! ». On ne sait cependant combien de temps aura duré cet « exercice », car la vidéo s’arrête subitement.

Un autre enregistrement se déroule dans l’obscurité, toujours dans un bureau, pendant que des hommes allument les torches de leurs portables. On les voit entourer un suspect, qu’ils injurient. Puis ils le mettent sur une table avant qu’un officier, plutôt bien bâti, s’asseye sur lui. « Ayo serzan ! » crie alors la victime.

C’est justement cette dernière vidéo qui intéresse l’activiste Bruneau Laurette, car elle concerne une équipe d’une Special Cell dont le responsable vient d’être promu chef inspecteur cette semaine. Ce dernier avait déjà obtenu cette promotion en 2020, à l’ère du commissaire de police en disgrâce, Mario Nobin, mais à l’arrivée de Khemraj Servansingh, il avait été Demoted au rang d’inspecteur et muté dans un poste de police du Nord. L’équipe qu’il dirigeait alors avait alors été dissoute. Les Police Headquarters n’avaient à cette époque donné aucune explication officielle à ce sujet. Mais le nouveau chef inspecteur a connu un retour en grâce à l’arrivée d’Anil Kumar Dip au poste de commissaire de police. Il est actuellement en charge d’une Special Cell.

En vérité, ses hommes et lui étaient dans le viseur du CCID depuis 2020 suite à l’arrestation des frères Saramandine, Ricardo et Billy, à Cité Vallijee, en mars 2020. Les deux hommes avaient en effet chassé des policiers de Bain-des-Dames, venus les arrêter, alors qu’ils se trouvaient dans la rue en plein confinement. Deux policiers avaient été blessés par des projectiles.

Plusieurs unités étaient plus tard descendues chez les deux suspects. Une vidéo de leur violente arrestation avait alors fait le tour des réseaux sociaux, et un sergent avait été arrêté pour brutalité. Sauf qu’un avocat avait par la suite remis une copie d’une autre vidéo au poste de police de Pointe-aux-Canonniers montrant les deux frères dans un bureau à terre. L’un d’eux se faisait torturer avec une matraque électrique.

Malgré cela, il n’y a pas eu d’enquête concernant cette scène de torture, même si les Casernes centrales étaient en possession de la vidéo en question depuis 2020. L’enquête du CCID était basée sur l’arrestation des Saramandine à leur domicile, et non pas sur les événements qui se seraient déroulés dans un bureau de la police. Bruneau Laurette compte s’entretenir avec les proches des différents protagonistes de ces vidéos avant de décider de la marche à suivre.

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