LETTRE OUVERTE CONTRE L’ARBITRAIRE – De l’éthique personnelle à l’intérêt public !

DHIREN MOONESAMY

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Messieurs le Président de la République et le Premier ministre ainsi que d’autres gouvernants,

L’éventuelle justification des sources journalistiques : vile épée de Damoclès que le gouvernement place au-dessus de la tête de certains journalistes ! Voilà ce qui nous vaut ce juste « retour à l’envoyeur ».* Le vote de l’Independent Broadcasting Authority (Amendment) Bill du mardi 30 novembre à l’Assemblée nationale et la légitimation présidentielle (d’une célérité qui ne nous surprend guère !) constituent un coup deJarnac à l’ensemble des citoyens, aux professionnels des médias, à la pratique journalistique même, à l’intérêt public. Il est grave qu’une telle désacralisation du cadre de la source journalistique ait pu être perpétrée sans que des parlementaires de la majorité s’en émeuvent. Tout porte donc à croire que cette inculture qu’est l’omerta sied parfaitement à un gouvernement coutumier des dérives de tout poil et usé par l’allégation et la dénonciation dans les médias et sur les réseaux sociaux.

L’arbitraire gouvernemental

Nous préférerons mille fois nous retrouver en cellule pour avoir défendu des principes et des valeurs que de cautionner la geôle de l’arbitraire gouvernemental. Celle de la pensée unique. Comment a-t-on osé ne serait-ce que songer à inscrire des journalistes, entre autres, dans une éventuelle conversation confidentielle, celle-là avec un juge en chambre, en vue de « … disclose the evidence required, or communicate or produce any record, document or article needed… » ? Ce qui laisse supposer mettre au jour une source ou encore l’identité d’un correspondant. Avec tout le respect que nous éprouvons à l’égard du judiciaire, il convient de penser que ces journalistes n’auraient même pas dû s’imaginer être soumis à une telle justification quant à la teneur d’une publication ; cependant, dans le contexte d’une approche politique dépréciée, le législateur en a décidé autrement.

Nous récusons l’éventuel dévoilement d’une quelconque source après s’être engagés auprès de celle-ci de la protéger en toute bonne foi. Il y va de notre sens personnel de l’éthique et de la défense de l’intérêt public. Cette lettre ouverte se fonde sur ce principe-là et nous n’en départirons point. Nous refusons l’indigne statut de ‘collabos’ qui pourrait être dévolu aux journalistes des radios visées dans le sillage de cet abject élan gouvernemental et étatique. Il est plus que temps pour certaines incompétentes autorités de faire amende honorable. Se tromper ne constitue pas en soi une honte ; s’évertuer à ne pas le reconnaître, par contre, pourrait tout à fait l’être et se cristalliser en une débâcle politique.

Silence versus dénonciation

Monsieur le Premier ministre, nous sommes tout à fait disposés à ne plus faire usage de cette « Press Card » émise par le Government Information Service, sous la tutelle du Prime Minister’s Office, en guise d’accréditation. L’encre de notre plume n’en tarira pas pour autant, une manière de s’accréditer autrement si besoin est…

Cette carte de presse perd une valeur intrinsèque, fonctionnelle et symbolique quand des amendements viennent galvauder la marge de manœuvre du journaliste radio dans l’exercice de ses fonctions et compromettre le réflexe citoyen (la source) d’approcher un professionnel des médias en vue de pourvoir une information susceptible de servir le bien commun.

On ose, qui plus est, subtilement conduire le journaliste en question au pied du mur en vue d’une éventuelle justification/révélation de sa source. Celui-ci s’exposera s’il n’obtempère pas. Le citoyen, lui, contacterait-il le journaliste au premier abord, sachant qu’il aura à placer sa confiance en lui une première fois, en amont, et une deuxième fois, en aval, si jamais l’affaire est portée en justice et que l’on cherche à déterminer la source ? « Le jeu en vaut-il la chandelle ? Le silence n’est-il pas alors préférable à la dénonciation ? », s’interrogerait légitimement le citoyen. Cela, alors même que le journaliste s’attend, pour sa part, à ce que le citoyen le renseigne dans l’intérêt public.

Irresponsabilité et ingratitude

Dès que de telles questions s’immiscent dans l’esprit du citoyen, la partie est presque terminée. Le désir de dénoncer, de manifester, de revendiquer ou encore de contester a été tué dans l’œuf. Qui vient donc d’assassiner la volonté du citoyen à se défendre ou à sauvegarder l’intérêt public ? Il s’agit du politicien irresponsable et ingrat. Celui-là même, politicien plébiscité par le citoyen pour qu’il défende ses droits, mais qui pousserait sans vergogne une potentielle source à se méfier de tout bon journaliste. Ainsi, de nouvelles dispositions légales mettent symboliquement en opposition le journaliste et le citoyen alors qu’ils opéraient d’un commun accord dans un imaginaire mitoyen, tous deux enclins à une certaine entente dans la prise de contact et dans le maintien d’une communication. Le plus grand tort est avant tout causé à cet esprit-là. Le doute pérenne et une permanente méfiance qu’instille un nouvel amendement ne peuvent que semer la division. Cette dernière sert ainsi à détruire la lame de fond dans une courroie de transmission entre les radios et les citoyens – qui jouissaient au préalable d’une interdépendance accrue dans leur volonté à défendre les droits humains.

« The most salient amendment in this 2021 Amendment Bill concerns the possibility for the IBA to apply to a Judge in Chambers for ordering the disclosure of journalistic sources. This can have damaging effects on journalistic practice, not just for radio stations but potentially for all media in the long term, as it creates a regulatory precedent. In a country where a law dating back to British colonial times, the Official Secrets Act, still prevails with stringent confidentiality requirements for all civil servants, such a provision creates a chilling effect on sources and journalists alike. », énonce Christina Chan-Meetoo dans lemauricien.com (A consulter ici).

Plus loin, dans cette même analyse – qui mérite que l’on s’y attarde –, la Senior Lecturer in Media and Communication, à l’Université de Maurice, fait ressortir, entre autres, au sujet de l’« Application to Judge in Chambers for disclosure of journalistic sources », une préoccupation à ne pas mésestimer : « Hopefully our judges will resist any frivolous requests and consider only very exceptional circumstances such as if our national security is at stake (which has never happened so far to our knowledge). Nonetheless, such a provision constitutes a red flag for journalists and potential whistleblowers. In other words, a chilling effect! It will require strong will and commitment for journalists to engage in serious investigative work despite the looming threat of a potential order to disclose their raw documentary sources, leading to self-censorship. It will be even more difficult for them to promise the utmost protection of anonymity to their sources as the latter may fear to be identified through the journalists’ raw documents… »

Valeur d’autorité

Si l’on déshabille la source du couvert de l’anonymat, on s’attaque à la valeur d’autorité dont jouit le journaliste, on amoindrit son incidence sur les combats citoyens. De surcroît, des critères restrictifs quant au renouvellement du permis d’opération des radios, et pouvant impacter par extension leurs finances, entre autres, viennent s’y greffer comme si de rien n’était. Et le tour de la politicaille de bassecour est joué…

Avinaash Munohur, dans le texte intitulé « IBA, démocratie et liberté », apporte aussi un éclairage certain sur la portée de quelques amendements qui tombent du ciel orangé : « Mais il faut le dire haut et fort : imposer des contrôles qui portent atteinte aux financements – et donc à l’existence même – des radios privées ou encore venir bafouer le principe sacrosaint de la non-divulgation des sources d’informations ne démontrent pas la volonté d’un renforcement de la démocratie. Bien au contraire, ces mesures ne font qu’approfondir le soupçon déjà grand sur les désirs et les volontés du pouvoir actuel. » Plus loin, l’observateur militant met en garde contre les agissements du pouvoir politique dans le cadre de la liberté publique. « Il ne faut absolument pas prendre ce problème à la légère. Nous ne sommes pas, dans ce cas précis de la nécessité de la non-divulgation des sources d’informations, dans quelque chose qui relève d’un choix ou d’une appréciation personnelle. C’est une erreur fondamentale que de croire que le journalisme – et le journalisme d’investigation en particulier – est simplement au service d’une liberté individuelle. Le journalisme n’est pas simplement l’expression du droit à s’exprimer librement, ce n’est pas simplement un droit de l’homme. Le journalisme participe entièrement à la construction et à la préservation de la liberté publique. »

Ciseaux d’Anastasie

Plus d’une fois, la liberté de la presse fut placée sous le joug de grands ciseaux du pouvoir politique ; journalistes, rédacteurs en chef, directeurs et amis de la presse, entre autres citoyens-lecteurs avertis, dénoncèrent l’indécence des basses manœuvres de la censure et lui opposèrent farouchement le droit et le devoir d’informer sans fers et ce, malgré les graves menaces d’une certaine « mafia pouvoiriste ». Tant « insupportable » il leur était que l’intérêt public de Maurice soit mis à l’index. Un sentiment que ces vers tranchants de Victor Hugo s’accordent à traduire dans le vif :

« La censure à l’haleine immonde, aux ongles noirs,
Cette chienne au front bas qui suit tous les pouvoirs,
Vile, et mâchant toujours dans sa gueule souillée,
O muse ! quelque pan de ta robe étoilée ! »

De toutes les attaques frontales contre la presse à Maurice, celles que de nombreux journalistes mauriciens avaient le plus en horreur étaient les Ciseaux d’Anastasie des Casernes centrales qui coupaient au travers des années de braise post-indépendantes.

« Je garde aussi un très mauvais souvenir de la censure de la presse… Un journal, avec un espace noir, est toujours vivant dans ma mémoire. J’avais appris par la suite que le titre avait subi la censure aux Casernes centrales avant sa parution. C’était la dérive dictatoriale à son comble. En tant qu’adolescent, je me sentais lésé dans ma liberté d’être informé. Je prenais conscience de la valeur de la liberté et de son caractère sacré », a partagé Christian Lecordier dans un papier publié le mercredi 8 décembre dans Le Mauricien, à propos des temps forts de son observation citoyenne des années 70.

Et comment aussi ne pas se référer à cette glorieuse levée de boucliers de 1984 à Port-Louis, Place d’Armes, et à cette multitude de prises de position éditoriales dans le cours de l’histoire des médias mauriciens ?

Ainsi, bien des récits et analyses d’autrefois étaient revêtus de cet irrépressible besoin de lutter contre toute tentative de museler les consciences. Ceux du jour doivent faire preuve de la même conviction et d’un engagement sans faille dans la défense sans compromis de ces valeurs journalistiques, qui ont su tenir la dragée haute à l’indécence gouvernementale, quel que soit le régime.

Monsieur le Premier ministre, à ces petits seigneurs, à leurs seconds couteaux – ou « seconds ciseaux » – ainsi qu’à leurs ‘saigneurs’ et agents doubles, propagandistes à leur solde tapis dans l’ombre, nous signifions que nos plumes et nos voix ne sont pas à vendre. Qu’ils aillent marchander ailleurs leurs âmes dénuées de conscience, dont l’étendue de l’égarement est au diapason de la médiocrité intellectuelle qui les caractérise !


* The Independent Broadcasting Authority (Amendment) Bill  – [‘New section 18A added to principal Act – The principal Act is amended by inserting, after section 18, the following new section – 3 18A. Judge in Chambers  (1) Where a person refuses to give evidence or, to communicate or produce any record, document or article, on the ground of confidentiality, the Director may make an application to the Judge in Chambers for an order directing that person to disclose the evidence required, or communicate or produce any record, document or article needed, for the exercise, by the Authority, of its regulatory powers.

(2) The Judge in Chambers shall make an order under subsection (1) where he is satisfied that the evidence, record, document or article the disclosure of which is sought is bona fide required by the Authority in relation to the exercise of its powers under this Act.’]

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