Jean-Ian Carré : « Mes blessures m’ont fait perdre beaucoup d’années »

Le spécialiste du marteau Jean-Ian Carré (28 ans) a intégré pour la première fois durant sa carrière la High Level Sports Unit et a en outre réalisé les minima des championnats d’Afrique et des Jeux de la Francophonie 2022. Celui qui est employé comme informaticien au sein du Mauritius Sports Council (MSC) et qui a connu plusieurs blessures durant sa carrière répond à nos questions.

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À 28 ans, vous intégrez pour la première fois la grille de la HLSU. Quelle est votre réaction ?

J’ai un sentiment assez mitigé. C’est une aide supplémentaire pour les compétitions à venir, mais dans un autre sens, je me demande comment les barèmes pour y accéder sont établis. Entre la performance de la catégorie continentale et internationale, il n’y a que six mètres pour mon épreuve, alors pourquoi il n’y pas ce même écart entre la case régionale et continentale ?

Parlons des facilités dont vous pourriez bénéficier grâce à la HLSU…

Déjà, c’est un soutien financier qui m’aidera à m’acheter des suppléments et également avoir une meilleure assurance médicale, car en tant que sportif, les blessures ne sont pas à écarter.

Vous faites allusion aux blessures. Dans votre cas, vous avez réalisé votre meilleure performance après une longue blessure d’un an. Racontez-nous cet épisode…

Il faut dire que j’ai été blessé pendant plus de cinq ans en général, et avec les différentes compétitions, je n’ai vraiment pas pu me soigner comme il le fallait. Après ma préparation de 2020, le Covid s’est présenté, et de là, j’ai décidé de m’écarter de l’athlétisme, car il n’y avait pas de compétition.

Donc, c’est cette blessure qui vous a forcé à prendre du recul ?

Oui. J’ai senti que mon corps se régénérait et cette nouvelle routine m’a permis de voir l’athlétisme d’un autre œil.

Avez-vous ressenti une certaine pression lorsque vous avez pris de la distance avec l’athlétisme dû à cette blessure ?

Pas du tout, mais c’est plutôt une frustration, car je savais que je pouvais faire mieux. Mais j’ai appris que lorsque votre corps ne suit pas, il faut l’écouter.

Êtes-vous rétabli ?

Pas à 100%. Mais mon corps est beaucoup mieux qu’avant. Pour mon épreuve, c’est plus un manquement technique que j’essaie d’améliorer.

Comprenez-vous les choix des athlètes qui ont abandonné le sport, n’ayant pas eu de soutien adéquat durant leur blessure ?

Chaque sportif connaît une expérience différente. S’il a choisi de mettre son sport de côté, c’est qu’il a ses raisons. Pour ma part, j’ai décidé de continuer malgré le manque de soutien.

À Maurice, est-il facile d’être un sportif de haut niveau ?

Il faut être fort mentalement pour l’être. Si un sportif n’a pas un emploi stable et un bon niveau dans sa discipline, ce sera compliqué. Ce n’est pas uniquement à Maurice, mais dans d’autres pays également.

Quelle est votre définition d’un sportif de haut niveau ?

Il doit donner 110% de sa vie à son sport. Si vous avez un soutien adéquat, vous n’allez pas chercher un emploi afin de joindre les deux bouts chaque fin de mois. Mais dans le cas contraire, si votre sport n’est pas suffisamment rémunéré, il vous faudra trouver un plan B ou même C dans certains cas.

Pensez-vous que le gouvernement aide suffisamment les sportifs ?

Certes, il y a des manquements, mais durant la période des Jeux des îles de l’océan Indien (JIOI) 2019, nous avons eu un énorme soutien du gouvernement, surtout au niveau médical, ce qui a été pour moi un facteur qui avait longtemps été mis de côté. Pour les sportifs qui se préparent pour les Jeux Olympiques, je pense qu’ils ont suffisamment d’aide à ce niveau.

Comment avez-vous vécu l’après-JIOI ?

C’était plutôt une déception par rapport à ma performance à ces Jeux, mais je savais que je ne pouvais faire plus, car je n’étais pas à 100% au niveau physique.

Vous êtes informaticien de profession. Pensez-vous que l’éducation soit un facteur clé au succès d’un sportif ?

C’est plus facile pour ceux qui poursuivent leurs études de trouver un emploi qui leur permettra de pratiquer leur sport de haut niveau. Je ne dis pas que si un sportif n’a pas un bon niveau académique il ne pourra pas exercer son sport, c’est juste que ce sera plus compliqué. Pour l’après-carrière, si le sportif a su bien gérer ses finances et fait de bons investissements, il s’en sortira. La majorité des sportifs mauriciens sortent de milieux difficiles, et parfois ils doivent savoir jongler entre le sport et les études. Mais l’éducation est une valeur sûre dans la vie et je ne vois pas comment cela pourrait être une barrière.

Est-ce que le sport de haut niveau est compatible avec la structure mauricienne ?

Avec le Centre Sportif de Côte d’Or, je pense que nous arriverons à atteindre ce haut niveau. Je pense que dans les années à venir, dans les sports individuels, nous aurons de meilleurs atouts.

Que pensez-vous du projet du High Performance Centre ?

C’est une bonne chose, car les sportifs auront certainement beaucoup d’avantages et progresseront. Yannick Lincoln, qui est à la tête de ce projet, a beaucoup d’expérience et il est dans le métier. Il saura quoi faire pour aider les sportifs.

Évoluer au haut niveau nécessite forcément une bonne hygiène de vie…

(Rire) Évidemment, mais cela coûte cher aussi et ce n’est pas juste au niveau de la nutrition.

Vous avez plus de 10 ans de carrière. Pensez-vous avoir progressé ou vous êtes resté au même niveau ?

Au début de ma carrière, j’ai connu une certaine progression, mais avec les blessures, c’était compliqué d’être performant. Et cette année, mes résultats parlent d’eux-mêmes et j’espère que cela continuera. Mes blessures m’ont fait perdre beaucoup d’années.

Quel est votre objectif pour 2022 ?

Cela dépendra de la manière dont se déroulera la saison. Après avoir pris mes distances, je connais une nouvelle carrière. Je pense que je pourrai me fixer des objectifs après ma première sortie 2022. Mais pour le moment, je me concentre pour les championnats d’Afrique afin de décrocher une place en finale, et la cerise sur le gâteau serait de décrocher une médaille continentale.

Au niveau du marteau, vous étiez toujours dans l’ombre du recordman de l’épreuve, Nicolas Li Yung Fong. Qu’en est-il de la relève ?

Nicolas est un champion et il mérite le respect des sportifs mauriciens. Pendant 10 ans, il n’y a eu que lui et moi qui avons lancé au-dessus des 50 mètres, et au niveau continental, ce n’est pas grand-chose. Je dois l’avouer, j’ai été déconnecté de l’athlétisme, mais plus récemment, il n’y a pas eu une performance qui m’a surpris.

Les lancers deviennent de plus en plus orphelins dans l’athlétisme. À qui la faute, selon vous ?

Je pense que les écoles d’athlétisme doivent rediriger correctement les jeunes qui veulent pratiquer ce sport. Il y a des épreuves de saut, les quatre lancers qui offrent du spectacle et demandent beaucoup de technicité, mais souvent, l’image de l’athlétisme est uniquement basée sur les courses. Une rééducation s’impose et il faut montrer l’athlétisme mauricien dans sa globalité.

Pensez-vous qu’un directeur technique national aidera l’athlétisme mauricien ?

Je ne pourrai me prononcer à ce sujet, car durant les dernières années, j’ai été assez égoïste, car je venais uniquement m’entraîner et faire des compétitions, puis je m’en allais. Avant de recevoir l’aide de la HLSU, j’étais seul dans mon combat et je ne me suis jamais attardé sur la gestion de la fédération.

Il y a un nouveau président au niveau de l’Association mauricienne d’athlétisme, qui est un ancien athlète, que vous avez côtoyé. Est-ce un plus pour la discipline ?

Il pourra apporter un renouveau à cette discipline. C’est la première fois que je vois un président aussi jeune à la tête de notre fédération. Je pense qu’il obtiendra le soutien de certains cadres et par rapport à son travail, le temps nous dira si ce sera payant ou pas.

Que pensez-vous du sport mauricien dans sa globalité ?

Actuellement, le sport mauricien est divisé en deux. Au niveau du MSC, nous venons avec un concept du sport pour tous. Le but est de conscientiser les Mauriciens dans la pratique du sport et pas nécessairement pour le haut niveau. Au niveau du sport d’élite, en ce qu’il s’agit de l’athlétisme, durant toute ma carrière, j’ai vu des jeunes prometteurs, mais il n’y a pas eu de suite. J’espère que cela pourra changer dans les années à venir.

Propos recueillis par

Christopher Quenette

FICHE TECHNIQUE

Prénom : Jean-Ian

Nom : Carré

Date de naissance : 6 février 1993

Lieux de naissance : Quatre-Bornes

Meilleure performance individuelle au marteau : 55,97m

Récompenses :

Médaillé d’argent (marteau) aux Jeux des îles 2019

Médaillé de bronze (marteau) aux Southern African Championnship

Médaillé de bronze (marteau) aux Jeux des îles 2011

Médaillé de bronze (marteau) aux Championnats d’Afrique juniors

Double médaillé d’argent (poids et marteau) CJSOI 2010

Multiple médaillé aux Jeux Interîles (minimes)

 

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