Elle court, elle court la fillette

En ce vendredi matin, une petite fille court le long du chemin passant devant Marie, Reine de la Paix. Bouclettes au vent, le regard noir, ses pas défilent à vive allure tels les rayons d’une roue de bicyclette qui tournoient à un rythme constant. En bordure de route, un chien roux, encore endormi, peine à ouvrir ses yeux et à dresser ses oreilles malgré les klaxons et le bruit des voitures qui passent.

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Où va cette petite et que fait-elle en cette matinée de vacances ? Va-t-elle chez elle après une petite course matinale, chez une amie pour raconter ses histoires de jeunesse, ailleurs pour fuir les ouvrages du matin ou alors, j’y ai pensé, pour échapper à la violence ou à des mains obscènes ?

Elle court, elle court la fillette aux pommettes rosées et au teint basané. Elle passe par ici et ne reviendra sans doute pas par là. Telle une gazelle s’envolant par voies et chemins, elle sprinte sur cette petite route sans trottoir, dans sa jolie robe fleurie, rose et violet, savates dodo aux pieds. Je ne sais pas où elle va et la raison pour laquelle elle cavale. Je ne connais évidemment pas son prénom, mais je souhaiterais que celui-ci soit Esperanza. Esperanza parce que j’espère que sa vie est pleine d’espérance et de joie, et non pas de tristesse et proche de la misère. Car à voir sa cadence et ses pas soutenus, elle semble pleine de vie, comme une petite pile de vitamines. Elle a encore toute la vie devant elle pour découvrir les merveilles du monde… et ses aléas. Plus important encore, la fraîcheur de sa jeunesse est suffisante pour inspirer l’espoir.

Je passe là chaque matin en ayant les yeux rivés sur la route et l’esprit capté par une radio pleine d’espérance (pas émise à Maurice, vous l’imaginez bien !). Chaque jour, c’est la même routine et, là, en ce jour banal, les conducteurs perdus dans leurs pensées habituelles sont confrontés à une scène particulière. Il ne faut pas grand-chose pour que plusieurs d’entre nous passent à côté de cet enfant dans la plus totale indifférence (pourquoi s’y attarder d’ailleurs ?). Il suffit aussi de peu pour que nous soyons attirés par cette jeune demoiselle qui court et court sans s’arrêter. Serait-ce là de la curiosité de notre part ?

Au détour de toute journée normale, nous pouvons être touchés par quelqu’un, par un signe, un regard, une parole ou par la beauté tout simplement. Il suffit juste d’y prêter attention quelques secondes et de se plaire à ne plus se laisser envahir par la course de nos pensées sur notre travail, notre famille, nos tracas et nos fracas possibles. Ici-bas, notre rythme a pris un pas tel qu’il me semble que nous sommes en perpétuel combat ! De ce fait, pour s’évader de ce remue-ménage autour de soi et en soi, rien de tel que de s’attarder sur les autres pour découvrir différents horizons.

La course de cette fillette me fait penser à nos réflexions et idées qui n’attendent qu’une chose : celle de quitter les starting-blocks dans notre cerveau pour voler au-dessus de nos têtes comme des tourterelles.

Une fois à mon bureau, cette bienheureuse échappatoire matinale me permet d’entendre le cardinal — je parle de l’oiseau, bien entendu, posté sur un manguier, bavarder avec un rouge-gorge rouge-oranger et gris-marron qui balance sans cesse son bec pointu de gauche à droite. Le vent caresse les feuilles vertes et les quelques gouttes de pluie campées sur elles sèchent au fil des caresses de ce petit vent doux et léger.

En ce début de décembre, le visage de l’été se dessine peu à peu et remplace les visages (en) fermés de l’hiver. Entre chaleur dans les rues de Port-Louis, fruits de saison chez les marchands, robes légères et bermudas, un parfum de vacances et de besoin d’insouciance se fait sentir. À juste titre ! Nous sommes sur les rotules et beaucoup d’adultes n’ont plus la même niaque et détermination qu’Esperanza. Nous avons perdu haleine à force d’avoir déjà trop couru, depuis trop longtemps.

Déjà décembre ! Déjà la fin de l’année ! Nous nous étonnons une fois de plus d’être déjà à Noël et nous émouvons en pensant à l’année écoulée. Des traces de joies et de moments durs parcourent nos souvenirs. Des instants qui nous rattrapent, d’autres qui nous lâchent : il ne faut juste pas qu’ils nous gâchent cette paix à laquelle nous tenons tant.

Et puis, on fait le bilan : ceci à garder, cela à jeter ! Ceux-ci à chérir, ceux-là à réconforter. Des bilans, des plans réussis ou foireux, des statu quo, des frustrations et des rancœurs se succèdent dans notre tête. Laissons-les s’en aller dans un petit footing fou et apaisant le long de notre chemin. Cela aura le mérite de nous alléger et enlèvera de nos vies des fardeaux angoissants trop lourds à porter.

Le moment est venu de faire une revue de « presse » de nos vies. Cela n’est pas toujours facile à faire, mais comme cela est nécessaire de relire son année : tant de leçons ont été apprises et tant d’enseignements peuvent en être tirés.

Elle court, elle court la fillette. Elle est passée par ici et peut-être que, finalement, elle repassera par là. Elle file, elle file cette année-là. Elle tire à sa fin et ne repassera, elle, ni ici ni ailleurs.

Alors, avant de se lancer dans la recherche ou la course des nouvelles résolutions, que cessent en nous les tourments et les murmures inutiles. Le temps qui passe finit toujours par apaiser et adoucir, et il nous réconcilie peu à peu avec notre passé. Ce passé qui fait de nous des souvenirs prêts à affronter l’avenir.

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