Siven Selloyee, ex-MSM :« Il faut lutter contre la politique d’exclusion que pratique le MSM ! »

Notre invité de ce dimanche est Siven Selloyee, ex-membre du Comité central et ex-Campaign Manager de la circonscription N°13 pour le MSM, qui a démissionné des instances orange récemment. Dans l’interview qu’il nous accordée cette semaine, il revient sur les raisons qui l’ont poussé à quitter le MSM.

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Vous venez de démissionner du MSM parti que vous aviez intégré il y a un peu moins de vingt ans de cela. Au départ, qu’est-ce qui vous a poussé à quitter le MMM pour adhérer au MSM ?
— Je n’ai jamais été membre du MMM, bien que j’ai vécu à Cité Kennedy, qui était majoritairement mauve. J’ai participé à des manifestations et des rassemblements mauves, mais je n’ai jamais été un adhérent de ce parti, bien que j’ai toujours eu des relations cordiales avec son leader, surtout dans le combat contre la drogue et pendant les émeutes Kaya.

Pourquoi avez-vous adhéré au MSM à l’époque ?
— J’ai adhéré au MSM en 2005 alors qu’il était au plus bas, après sa défaite électorale par l’alliance PTr-PMSD. J’étais très inspiré par la façon de faire de sir Anerood Jugnauth. Du fait que j’habitais à Cascavelle, on m’a demandé de donner un coup main au N°14. J’ai rencontré Mme Hanoomanjee, dont je suis devenu le Campaign Manager pour les élections de 2010 et de 2014. Après la victoire de 2010, j’ai refusé d’être le Senior Adviser du ministre de la Santé pour continuer ma carrière comme HR dans le secteur privé, pour respecter les principes et valeurs démocratiques dans lesquels je crois. C’est après la victoire de 2014 — en septembre 2015 — que j’ai accepté de quitter le secteur privé pour aller travailler à Mauritius Telecom, toujours dans ma spécialité professionnelle. Après un appel à candidatures en bonne et due forme.

Vous avez donc travaillé avec Sherry Singh, autrefois le « jigri dost » de Pravind Jugnauth, qui est aujourd’hui un de ses ennemis personnels à qui on reproche de multiples choses. Est-ce que tout ce qu’on dit sur lui aujourd’hui est vrai ?
— J’ai eu des différends avec Sherry Singh, qui disait qu’il ne prenait ses ordres que de Pravind Jugnauth, à partir de 2016. Il faisait un one-man show et la majeure partie des choses qu’on lui reproche est aujourd’hui avérée. Il voulait me faire faire des recrutements, travailler sur certains projets douteux, ce que j’ai refusé. À partir de là, il m’a fait quitter les bureaux du quartier général à Port-Louis pour me poster à Ébène pour m’occuper uniquement de la formation.

Sherry Singh a été à la tête de Mauritius Telecom pendant des années et personne ne s’est rendu compte de ce qu’il faisait ? Que par exemple il se faisait construire un château que son salaire ne lui permettait pas logiquement de financer. Le MSM était aveugle ou jouait-il à l’aveugle ? Vous étiez alors membre du CC du MSM : vous n’avez pas fait savoir aux dirigeants du parti que M. Singh vous avait exilé à Ébène et faisait des choses douteuses ?
— Pendant toutes ces années, il avait le feu vert, une carte blanche totale et pouvait faire ce qu’il voulait à Mauritius Telecom, avec la bénédiction de Pravind Jugnauth. À qui est-ce que j’aurais pu aller me plaindre et dénoncer ses méthodes ? À un moment donné j’en ai parlé à SAJ, qui m’a répondu : « To kone ki sannla mo pa kapav dir li narye ! » Je ne pouvais rien faire et je suis resté dans mon coin.

Mais vous étiez membre du MSM, parti qui avait dénoncé les dérives du PTr et qui était en train de faire pire, et ça ne vous révoltait pas !
— Je me suis comporté comme un professionnel dans mon travail et au niveau du parti, j’ai passé le message qu’il fallait à qui de droit sur les dérives. C’est tout ce que je pouvais faire à l’époque.

Tout en travaillant à Mauritius Telecom, vous avez quand même été Campaign Manager pour le MSM au N°13. C’est compatible avec les valeurs démocratiques que vous défendez ?
— Mauritius Telecom a un statut différent de tous les corps paraétatiques et n’est pas redevable au parlement. Ce n’est pas éthique, mais c’est comme ça. J’ai donc demandé et obtenu l’autorisation pour faire campagne.

Vous étiez, même exilé à Ébène, bien au niveau politique puisque vous avez continué à participer aux activités du CC jusqu’à l’année dernière. Qu’est-ce qui vous a poussé vers la démission des instances du MSM en 2024 ?
— Plusieurs choses au fil du temps, dont le changement de Premier ministre et le retrait de SAJ. À partir de 2019, le MSM a pris une autre direction, une mauvaise direction, celle des dérives qui m’ont poussé à prendre du recul du parti et de ses instances. On ne respectait plus les valeurs et les principes démocratiques d’avant. Par la suite, on a continué dans la même voie et, par exemple, on a décidé du renvoi des élections municipales. Cette décision n’a pas été discutée dans les instances du MSM, elle a été simplement annoncée.

Vous avez démissionné en janvier, mais avant il y a eu des attaques contre les principes et les valeurs : avec les expulsions des députés du Parlement, de multiples scandales, les attaques du Premier ministre contre une magistrate et le DPP, par exemple. Vous êtes resté bien silencieux face à ces attaques !
— Il y a eu, effectivement, beaucoup de décisions allant vers l’exclusion de certaines communautés mauriciennes suscitant des malaises dans la population. Parmi, il y a eu la reprise du terrain accordé antérieurement à la communauté tamoule, à Réduit, pour la construction d’un centre culturel. Je ne suis pas sectaire et mon parcours le prouve, mais j’ai été obligé d’écrire sur ma page Facebook qu’on avait, avec cette décision, créé un malaise tamoul. L’exclusion est aujourd’hui peut-être même plus importante que celle qui existait à l’époque coloniale. Regardez ce qui se passe dans le secteur de l’éducation, regardez le non-respect de la méritocratie dans les institutions.

D’après votre analyse, est-ce que cette exclusion fait partie d’une stratégie politique bien pensée ?
— C’est une politique réfléchie qui a des objectifs et des intérêts précis qui ne va pas dans le sens de la construction d’une nation mauricienne. Avec cette politique d’exclusion, on dresse une communauté contre les autres pour des gains politiques. Il faut lutter contre la politique d’exclusion que pratique le MSM !

C’est, dites-vous, pour défendre les valeurs démocratiques que vous avez démissionné du MSM. Mais du côté orange, on affirme que c’est parce que vous n’avez pas été promu à un poste à MT que vous êtes parti. D’ailleurs, une phrase de votre déclaration tendrait à accréditer cette thèse quand vous avez regretté que vos compétences n’aient pas été reconnues…
— Si j’avais voulu être nommé à de grands postes, je l’aurais réclamé en 2014, quand le MSM arrive au pouvoir et qu’il y a eu beaucoup de nominations. En 2023, après tous les scandales que l’on sait, une nouvelle direction arrive à la tête de MT, et après avoir été exilé à Ébene par Sherry Singh, je découvre qu’on nomme comme acting HR de la compagnie un Payroll Officer, alors que j’avais toutes les qualifications et l’expertise nécessaire pour occuper ce poste. Quand j’ai protesté, on a voulu m’envoyer dans une compagnie du groupe, un call centre. J’ai refusé cette proposition et j’ai été suspendu pour insubordination. J’ai pris Me Antoine Domingue pour me défendre, ce qui n’a pas dû faire plaisir dans certains quartiers, et avant d’arriver au comité disciplinaire, on m’a proposé un agreement que j’ai accepté et j’ai démissionné de MT en avril 2023.

Vous avez été le Campaign Manager du MSM au N°13, où les trois candidats ont été élus et deux d’entre eux sont devenus ministres. Ils ne sont pas intervenus ?!
— J’en ai parlé au ministre des Finances, qui m’a dit qu’il allait en parler au PM. Est-ce qu’il l’a fait ? Je n’en sais rien. J’ai croisé le PM une fois et je lui ai demandé un rendez-vous qu’il m’a promis, mais que je n’ai jamais obtenu.

Vous avez démissionné de MT en avril de l’année dernière et ce n’est qu’en janvier de cette année que vous avez quitté le MSM. Pourquoi ce laps de temps ?
— Parce qu’il fallait que je m’organise, que je trouve du travail, que je consolide ma base locale et internationale pour ma survie professionnelle. Au niveau politique, j’ai approché pas mal de personnes sur le terrain pour tâter le pouls de l’électorat, et suite à ces constatations, j’ai pris la décision de démissionner.

Ou bien vous avez pris ce temps pour négocier une entrée au MMM, comme les mauvaises langues orange l’affirment, pour remplacer Avi Thancanamooto comme candidat mauve au N°13 ?
— J’ai dit et je répète que je n’ai aucun contact avec le MMM, comme le leader du MMM l’a lui-même confirmé après ma conférence de presse…

Le vieux routier de la politique que vous êtes croit-il qu’il faut croire tout ce que les leaders politiques affirment en conférence de presse ?
— Je vous le répète : je n’ai aucun contact avec le MMM. Par contre, j’ai appris que Xavier Duval avait déclaré, après l’annonce de ma démission, que j’étais le bienvenu dans l’alliance de l’opposition.

Les rumeurs qui disent que vous quadrillez la circonscription N°13 avec Rajen Narsingen, probable candidat travailliste, ne sont que des… rumeurs ?
— C’est vrai que je quadrille la circonscription, comme je le fais depuis des années, mais seul. Même quand j’étais au MSM, je ne me suis jamais affiché avec les ministres de la Santé et des Finances dans la circonscription. Après les élections, j’avais suggéré au ministre des Finances de faire un master plan de développement pour la circonscription. Vous savez ce qu’il m’a répondu : « To oule pran mo plas ? »

C’était une bonne question, qui se pose avec plus d’acuité aujourd’hui. Quelle a été votre réponse ?
— Je lui ai dit : « Avan to vinn dan N°13, mo ti deza la. » En effet, je suis né et j’ai grandi à Souillac avant d’aller habiter Quatre-Bornes puis Cascavelle.

Vous n’allez pas nous faire croire que vous avez organisé une conférence de presse juste pour annoncer votre démission du MSM, sans un plan. Est-ce que ce n’était pas un moyen d’offrir vos services, votre expérience et votre notoriété au N°13 aux partis politiques de l’opposition ?
— Effectivement, je fais de la politique active depuis une vingtaine d’années et j’ai une certaine expérience de la chose. Je ne quitte pas la politique, j’ai l’intention de rejoindre un parti qui partage mes valeurs et mes idées et où je me sentirais à l’aise.

Quel parti de l’opposition répond aux critères que vous venez d’énumérer ?
— Aucun pour le moment, je n’ai pris aucune décision, bien que j’aie reçu des propositions. La seule chose qui est sûre, c’est qu’il n’est pas question que je retourne au MSM. Je suis de ceux qui ne font pas un pas en avant pour retourner deux pas en arrière ! J’ai envie de contribuer dans la politique de mon pays, je pense que j’ai suffisamment d’expérience pour le faire. Je ne suis dans aucun parti ou alliance politique, mais je suis sur le terrain au N°13 à l’écoute et j‘entends le mécontentement, j’entends dire que la situation n’est pas bonne et qu’il faut changer avant qu’il ne soit trop tard. Je serai candidat, même s’il faut que je pose en indépendant. J’ai fait plusieurs campagnes électorales, je sais comment les organiser. Aux dernières élections, nous avons fait élire au N°13 trois novices qui n’avaient jamais parlé dans un micro face à une foule. Il n’y a pas eu un ancien ministre ou député qui est venu donner un coup de main et faire campagne au N°13. La campagne a été faite avec la base sur le terrain.

Si vous avez été aussi efficace que vous le dites, pourquoi est-ce que le MSM vous a laissé partir ?
— Le ministre des Finances m’a toujours considéré comme un possible challenger et a tout fait pour me mettre de côté. Ma démission n’a pas dû le déranger. Les autres élus ne comptent pas, ils n’ont pas leur mot à dire.

Est-ce que les partisans MSM du N°13 ne vous qualifient pas de « vander » après votre démission ?
— À ce jour, et à part le Constituency Clerk du ministre des Finances, qui a été désagréable à mon égard, j’ai reçu beaucoup de témoignages de sympathie et de support.

On dirait que le MSM passe actuellement par une période trouble, agitée. Que se passe t-il au sein de votre ex-parti ?
— Un parti politique fonctionne avec des structures : Assemblée des délégués, Comité central et Bureau politique. Aujourd’hui, ces instances du MSM n’ont plus aucune raison d’être, sauf quand il s’agit de faire venir une foule au Sun Trust pour montrer que le leader est populaire. Quand SAJ était le leader, il écoutait ce que les membres de ses instances avaient à dire, ils discutaient en toute liberté. Ce n’est plus le cas. Il y aura d’autres démissions du MSM dans les jours et semaines à venir. Le malaise est en train de s’étendre et des choses sont en train de faire surface. Il y a des malaises dans le pays, mais il y a aussi un gros malaise au sein du MSM. Aujourd’hui, c’est le culte de la personnalité à outrance et la mauvaise gestion du pouvoir est en train de générer un fort contre-pouvoir. Et la mauvaise gestion du pouvoir est faite par les membres de Lakwizinn, qui n’ont aucune légitimité démocratique. Et en plus, ces gens-là n’ont aucune expérience ni de passé politique, n’ont pas d’interaction ni d’ancrage sur le terrain et sont déconnectés du peuple.

Est-ce que comme beaucoup le disent — surtout ceux quoi ont quitté le MSM — c’est l’épouse du Premier ministre qui dirige cette fameuse kwizinn qui agit comme un gouvernement bis qui a préséance sur l’officiel ?
— Le fait est qu’il y a unanimité sur l’existence de Lakwizinn et pour la dénoncer, peu importe qui en sont les membres. Ce que je peux vous dire, c’est que les personnes qui font partie de Lakwizinn ne sont pas mandatées pour diriger le pays, pour prendre des décisions qui l’engagent et auront un impact considérable sur son avenir.

Pensez-vous que le MSM pourrait remporter les prochaines élections ?
— Cela me paraît très difficile, dans la mesure où, comme je vous l’ai déjà dit, de par ses politiques et ses mauvaises décisions, le MSM a lui-même enclenché le mécanisme du contre-pouvoir qui va le battre. La déclaration du PM selon laquelle ce ne serait pas un drame qu’il ne soit pas élu traduit exactement la situation sur le terrain.

Que pensez-vous de son autre déclaration selon laquelle son ennemi n’est pas l’opposition mais la presse ?
— Cette déclaration est tout à fait consistante avec la politique que le PM mène contre la presse depuis des années, plus particulièrement depuis 2019. Cette déclaration et ce comportement ne sont pas appropriés dans une démocratie.

Beaucoup disent que Pravind Jugnauth est en train de suivre la politique pratiquée dans son pays par le Premier ministre indien. Est-ce que c’est un bon choix diplomatique pour Maurice ?
— Depuis quelque temps, Maurice ne pratique plus une politique étrangère équilibrée, non alignée, respectée de tous, ce qui avait été le cas depuis l’indépendance. Je me demande si avec la position d’alignement sur l’Inde que Maurice semble avoir adoptée, nous allons dans la bonne directio. Je ne le pense pas.

Une question qui concerne la circonscription où vous habitez. Le ministre Ganoo et la députée Mayotte ont déclaré qu’ils ignoraient l’existence de Franklin et du trafic de drogue dans le N°14. Votre réaction ?
— Cette déclaration a fait rire à gorge déployée tous les habitants de la région. Surtout qu’Alan Ganoo avait dit connaître tous les noms et prénoms de tous les habitants du N°14 ! Tous savent à quel point le trafic de la drogue s’est développé dans la région. Nous savons tous que le trafic de la drogue n’a pas pu proliférer sans le soutien de ceux qui ont le pouvoir de décision.

Est-ce que vous savez pourquoi Vikram Hurdoyal a été révoqué comme ministre ?
— Non, je ne le sais pas. Mais je peux dire que sa révocation a été marquée par un manque total d’élégance. Dans n’importe quelle entreprise, on écoute ce que l’employé a à dire avant de le renvoyer. Ce minimum de fairness n’existe pas au MSM d’aujourd’hui. La même chose s’est produite quand le PM a annoncé la démission du directeur de la météo avant sa suspension !

Avec la démission de Vikram Hurdoyal comme député, est-ce que vous pensez que nous allons vers des élections générales anticipées ?
— Mais nous sommes déjà en campagne électorale et les élections peuvent avoir lieu n’importe quand. Mais le plus vite sera le mieux pour le pays, comme le pense une majorité de Mauriciens. Le pays a besoin de connaître un boom moral, qui est aussi sinon plus important qu’un boom économique. Nous avons besoin d’une nouvelle manière de vivre qui reconnaît que tous les habitants de ce pays, quels que soient leurs origines et leur communauté sont des Mauriciens à part entière et à droit égal. Le pays a besoin de lutter contre l’exclusion qu’on est en train d’instaurer et qui est plus fort que celle qui existait au temps de la colonisation. Il y a des communautés qui n’ont pas de représentants dans la liste des lauréats, dans la fonction publique, à la tête des institutions. Il y a beaucoup de choses à remettre en place et à reconstruire avant qu’il ne soit trop tard.

Est-ce que, pour résumer cette interview, on peut dire vous mettez vos compétences et votre expérience du N°13 à la disposition d’un parti politique qui défendrait vos valeurs et principes, et qui va proposer un programme dans lequel vous vous retrouverez ? Si vous ne trouvez pas ce parti, vous êtes déterminé à poser comme indépendant ?
— C’est un bon résumé.

Nous avons beaucoup parlé du MSM et de ses dérives. Pour finir, dites-nous ce que vous pensez de l’alliance de l’opposition parlementaire ?
— Ses députés font bien leur travail au Parlement et parviennent à être percutants en dépit des difficultés qu’ils rencontrent. Ces partis travaillent ensemble, ont créé une synergie et je pense qu’ils vont continuer à construire leur force et leur homogénéité…
Qui ne peut qu’être meilleure avec vous dans leurs rangs ? Vous pensez être un joker pour le N°13 et que les partis politiques ont plus intérêt à vous avoir avec eux que contre eux ?
— C’est vous qui le dites…

Réalisée par Jean-Claude Antoine

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